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assertion inexacte ou vraie, considérer comme une rémunération usuelle les honoraires exceptionnels payés par quelque millionnaire à un avocat en renom ou à un prince de la science, et, prenant l’exception pour la règle, grossir démesurément les revenus d’avocats ou de médecins célèbres.

L’Angleterre est, de tous les pays, celui où les professions libérales mènent le plus rapidement à la fortune, et encore le nombre y est-il infiniment restreint de ces légistes éminens que les romanciers nous montrent gagnant en peu d’années des sommes énormes, entrant au parlement et parvenant au peerage. l’Angleterre est aussi le seul pays d’Europe où de gros traitemens officiels attirent vers les emploie publics les capacités de premier ordre, le seul où l’état alloue à de hauts fonctionnaires des traitemens de 100,000 et de 200,000 francs par an, et où nombre de fonctions soient rétribuées 30, 40 et 50,000 francs. Un juge de comté touche 30,000 fr. et un juge de grande cour jusqu’à 125,000 francs. À ce prix, un légiste éminent gagne au service de l’état autant que lui rapporte son cabinet. Si son revenu n’augmente pas, il devient fixe ; son labeur est diminué, sa situation grandit par le prestige qui s’attache encore aux fonctions publiques, et, avec elle, son influence politique et sociale.

Au point de vue commercial, les conditions économiques que nous avons signalées plus haut et qui ont amené en France la création de ces immenses magasins, cause de ruine du petit négoce, ont déterminé en Angleterre la création d’établissemens autres, répondant, eux aussi, à des besoins généraux, mais d’une nature différente, et rien ne nous semble donner une note plus caractéristique du contraste des tendances anglaises et françaises que cette comparaison qui s’impose forcément entre nos grands magasins de luxe et les sociétés coopératives anglaises. En France, les premières tentatives, faites sur une vaste échelle, de l’association des capitaux, se sont portées tout d’abord, d’instinct et de préférence, vers ce qui a trait à l’habillement et surtout à l’habillement de la femme. Le succès a prouvé que cette préférence était justifiée. C’est à la reine du jour, à la mode, qu’ont été consacrés ces palais commerciaux qu’assiège un peuple de clientes, et dont les fabuleuses recettes attestent à quel point ils répondent aux besoins impérieux et aux goûts capricieux de notre génération. En Angleterre, au contraire, c’est sur le commerce d’alimentation, d’approvisionnemens, que les capitaux accumulés ont concentré leurs efforts. Mettre à la portée de tous, au prix de revient le plus réduit possible, tout ce qui est nécessaire non-seulement à la subsistance, mais aux besoins quotidiens de la famille, du home, tel se posa le problème, et les sociétés coopératives fondées dans ce dessein ont presque toutes réussi,