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LES AFGHANS
ET
LA QUESTION INDO-RUSSE
D’APRÈS DEUX VOYAGEURS FRANÇAIS

Depuis un demi-siècle, les Afghans ou Pouchtoun ou Pathan ont fait beaucoup parler d’eux, mais jamais autant qu’aujourd’hui. Ils ne sont à la vérité qu’un petit peuple, qui ne fait pas figure dans cette immense Asie où il y a des empires de plus de 100 millions d’âmes. Combien sont-ils? Les évaluations varient entre 2 et 8 millions. Le fait est qu’ils n’ont jamais été recensés. L’Oriental, et surtout l’Oriental musulman, a peu de besoins, et celui qu’il ressent le moins est le besoin des notions exactes. Les curiosités indiscrètes des Européens lui font l’effet d’une maladie, d’un égarement d’esprit; Allah n’a jamais aimé les indiscrets. Qu’il y ait 2 ou 8 millions d’Afghans répandus sur les plateaux d’un territoire montagneux supérieur en étendue à la France, il n’importe : depuis que la Russie, après avoir réduit sous son obéissance le Turkestan, puis le Ferganah, puis la Turkménie, a reculé ses frontières jusqu’à l’Oxus, et que les Anglais l’accusent de convoiter l’Inde, la diplomatie s’occupe beaucoup de l’Afghan. C’est un de ces pions avec lesquels on peut gagner une de ces grandes parties qui changent la face du monde. Les Pouchtoun sont maîtres des chemins qui mènent dans l’Inde, des défilés, des passes qu’ont franchies tous les envahisseurs, les Alexandre, les Tamerlan, les Baber. On raconte qu’un jour le grand empereur Akbar se promenait avec son fils Sélim dans le fort d’Agra, sa capitale. — « Père, lui demanda le prince, pourquoi ne fais-tu pas creuser un fossé autour d’Agra? — Mon fils, répondit l’empereur, le fossé d’Agra, c’est l’Indus. » Les gardiens de l’Indus sont les Afghans.