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aux nationalités de l’empire, se concilierait avec le système présent de diplomatie de l’Autriche, avec la politique qui la lie si étroitement à l’Allemagne. Pour l’instant, sans doute, il n’y a rien de pressant. L’Autriche et l’Allemagne, par des raisons différentes, sont également intéressées à maintenir une alliance qu’elles ont formée pour une prétendue protection de la paix, et quelques coups d’aiguillon échangés, au cours d’un voyage, à travers des toasts plus ou moins sincères ne changent pas brusquement une situation ; mais ces derniers incidens ne seraient pas pour l’avenir sans quelque signification utile s’ils démontraient, ne fût-ce que dans un éclair, qu’on ne s’entend pas toujours, que l’Autriche a une alliance par laquelle on asservirait, si on le pouvait, son indépendance dans sa politique intérieure, et dont elle ne serait peut-être même pas sûre de pouvoir se servir le jour où elle en aurait besoin.

Heureusement pour elle, l’Espagne est en dehors de cet obscur et universel mouvement européen où elle n’a ni intérêts directs ni pré-r tentions. Elle a eu même la chance, ou, si l’on veut, le mauvais sort de perdre pour le moment une visite dont l’empereur Guillaume avait eu, dit-on, la pensée de lui réserver la faveur pour compléter son tour d’Europe. L’empereur Guillaume, avec ses uniformes blancs, rouges ou noirs, aurait sûrement été bien reçu au-delà des Pyrénées. Il aurait eu ses galas au palais de Madrid comme à Rome et à Vienne. On lui aurait offert des parades militaires, une revue, une promenade à Tolède ou à l’Escurial. Les Espagnols connaissent l’étiquette. Seulement, à part la galanterie d’une visite rendue à une princesse qui est un modèle de dignité et de sagesse dans le gouvernement, on se serait demandé, après tout, ce que l’empereur Guillaume pouvait bien aller faire à Madrid. Il aurait trouvé des hommages, peu de confidens disposés à se laisser gagner à la diplomatie que M. le comte Herbert de Bismarck représente auprès de lui en voyage. L’Espagne a le bon sens et la finesse de se défendre des complications et des aventures dont d’autres se réserveraient la direction et le profit. On aura beau lui parler de la triple ou de la quadruple alliance, de la ligue de la paix, de l’équilibre de la Méditerranée, elle ne se laissera pas duper par ces plaisans euphémismes dont on se sert entre initiés de la haute diplomatie ; elle n’écoute rien, et les Italiens, particulièrement, connaissent bien peu l’histoire, le caractère espagnol, s’ils se figurent entraîner le gouvernement de Madrid à leur suite, dans l’intérêt de leurs prétentions sur la Méditerranée. D’abord, les Espagnols croient avoir autant de titres que les Italiens dans la Méditerranée ; et puis, comment prendraient-ils au sérieux cette prétendue défense de l’équilibre méditerranéen dont les Italiens se montrent si jaloux et qu’ils se hâtent de mettre sous la protection de la puissance qui possède Gibraltar, Malte