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agrandir les yeux au mot « épistaxis, » et pousser un soupir de soulagement lorsque le professeur, remarquant ce geste de surprise qui ressemblait à une interrogation, se hâta d’ajouter : « c’est-à-dire le saignement de nez. » Parfois les explications les rendent un peu confuses. Pendant une leçon de pharmacie usuelle, quelques détails trop techniques leur firent baisser les yeux, comme si l’on eût évoqué l’âme de M. Fleurant et fait apparaître les matassins qui donnaient chasse à M. de Pourceaugnac : « Bénin, bénin, pour déterger, pour déterger. » Je crois bien que quelques mamans riaient sous cape, mais les jeunes institutrices à brevet témoignaient par l’expression de leur physionomie que, semblables au Géronte du Médecin malgré lui, « elles ne se connaissent pas à ces choses.»

La femme qui aura suivi ces cours sera plus tard une infirmière utile; elle saura débrider une plaie, panser une blessure et, au besoin, préparer un médicament. Si les femmes sont assidues aux cours de la rue Matignon, je n’en dirai pas autant des hommes; j’en suis honteux pour mon sexe ; je l’ai cherché là où il devait être et je ne l’ai pas aperçu. L’homme est-il donc trop indifférent ou trop paresseux pour venir, une fois par semaine, pendant une heure, acquérir des notions qui, en dehors des périodes de guerre, lui seraient utiles dans bien des circonstances de la vie? Non; l’homme est occupé, très occupé ; n’a-t-il pas le péristyle de la Bourse, et le café, et le cercle, et le reste? Cela prend bien du temps, et il n’en reste guère à consacrer aux œuvres d’humanité, qui sont cependant de devoir commun dans un pays de service militaire obligatoire. Au jour des batailles, on s’empressera, je n’en puis douter, mais sans notions préalables, par conséquent avec hésitation, avec maladresse, et le pauvre blessé pâtira de ceux-là mêmes qui veulent le secourir. Lorsque les troupes seront en marche, il n’y aura plus ni leçon ni professeur; on regrettera d’avoir négligé l’apprentissage, car la volonté seule ne suffit pas à faire le bien ; il faut donc profiter des heures pacifiques pour s’initier au métier d’infirmier et de frère de charité. C’est pourquoi je voudrais que les cours de la Croix rouge fussent suivis avec quelque régularité par les hommes, qui, du moins, pourraient s’habituer de la sorte aux fonctions qu’ils ne répudieront pas si la France en appelait à leur dévoûment. Être prêt, c’est bien ; mais être préparé, c’est mieux.

Il me reste à dire quelle a été l’action de la Société de secours aux blessés militaires de terre et de mer, pendant nos dernières expéditions coloniales, et à parler de l’ampleur qu’elle doit acquérir si le public en comprend l’importance; c’est ce que je ferai dans une prochaine et dernière étude.


MAXIME DU CAMP.