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En Angleterre, l’abstention de l’état a été, jusqu’à ces derniers temps du moins, presque complète. Depuis quelques années, les tendances au socialisme gouvernemental ont commencé d’envahir la nation anglaise. Néanmoins, le pouvoir central s’en est assez préservé. Il fait aujourd’hui des prêts aux localités ; mais ce sont de simples avances remboursables, non pas des subventions, ni même des garanties d’intérêts. Le seul avantage de la méthode consiste à faire profiteroles administrations locales de la supériorité du crédit national britannique. Les localités du Royaume-Uni ont cédé davantage aux séductions du socialisme administratif, en matière d’eaux, de gaz, d’électricité. L’état a dû intervenir, cette année encore, pour réfréner ou endiguer leurs empiètemens. Mais cette tendance, qui ne touche que les pouvoirs locaux et non le pouvoir national, est relativement récente.

Si l’on considère les routes, les canaux, les chemins de fer, les docks et les ports, dans la Grande-Bretagne, on trouve à leur origine une initiative individuelle ou une initiative d’associations libres et de corporations ; les localités y ont joué aussi un certain rôle, mais généralement secondaire, simplement auxiliaire. Quant au pouvoir central, il est presque demeuré spectateur, se contentant d’accorder, quand cela était nécessaire, des bills d’incorporation, de faire des chartes ou des cahiers des charges, la plupart assez larges pour qu’on s’y pût mouvoir à l’aise.

On sait comment, en dehors des grandes routes stratégiques, les routes à péages, construites et administrées par des commissions ou des syndicats, ont constitué chez nos voisins un précieux réseau de viabilité vingt-cinq ou trente ans avant que l’Europe continentale jouît, par les sacrifiées de l’état, du même bienfait. Cette organisation, sans doute, ne pouvait être éternelle, le développement de l’industrie et l’extrême mobilité des personnes et des marchandises dans le monde contemporain exigeant la gratuité des routes. Mais l’anticipation d’un quart de siècle dont la Grande-Bretagne a profité sous ce rapport, relativement aux autres peuples d’Europe, a contribué à l’avance économique dont elle bénéficie encore sur les autres nations. C’est l’initiative de la haute et opulente noblesse qui a doté également ce pays d’un tissu de canaux, antérieur de beaucoup aux chemins de fer. Le duc de Bridgewater, bientôt et longtemps suivi par une foule de ses pairs, a commencé, en 1758, cette canalisation du royaume-uni ; en un demi-siècle ou trois quarts de siècle, des milliers de kilomètres de canaux étaient ainsi livrés à la circulation, grâce à cette sorte de sport aristocratique, humanitaire et mercantile à la fois, dont les économistes, perdant de vue la réalité, ont si légèrement méconnu l’importance. On ne peut guère citer