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et qui n’entre pas en compte. Grâce à lui, l’utilité d’une voie ferrée serait souvent double ou triple de celle que ses recettes nettes semblent indiquer. Si la petite ligne ferrée transporte 50,000 tonnes par kilomètre, à raison de 0 fr. 08, elle ne perçoit que 4,000 francs, recette tout à fait insignifiante, en y joignant celle des voyageurs, pour rémunérer le capital de construction; mais les expéditeurs ou les consommateurs auront profité, en outre, affirme-t-on, de 0 fr. 20 par tonne et par kilomètre, soit de la différence entre 0 fr. 08 (tarif de la voie ferrée) et 0 fr. 28, coût du transport sur la route de terre. Ainsi cette petite ligne dédaignée, dont le trafic des marchandises ne produit que 4,000 francs bruts à l’exploitant, rapporterait en réalité 14,000 francs au pays. C’est par des raisonnemens de ce genre que l’on a cherché à justifier toutes les folies faites en France et dans bien d’autres pays pour la construction prématurée de lignes ferrées actuellement super- flues. On y ajoute encore des considérations sur le prétendu trafic que les lignes nouvelles apportent aux anciennes lignes. Mais toute cette façon de raisonner est singulièrement exagérée et conduit aux résultats les plus inexacts. On suppose arbitrairement, contrairement même à tout bon sens, que tout le trafic d’une voie ferrée nouvelle est du trafic nouveau, détourné seulement des lignes de terre; c’est absolument faux dans un pays où le réseau des voies ferrées est déjà un peu serré : ce trafic, pour les deux tiers ou les trois quarts, est du trafic enlevé aux lignes anciennes; bien loin d’être. des affluens, beaucoup de ces lignes nouvelles, pendant très longtemps du moins, sont des concurrentes. Il est donc très délicat d’apprécier l’utilité exacte de beaucoup de travaux publics : les particuliers, les compagnies non garanties ou non subventionnées, se tiennent en garde contre tous ces calculs de complaisance, contre toutes ces argumentations sophistiques. l’état, au contraire, qui a toujours te goût de « faire grand » et qui est assiégé par des solliciteurs de toute sorte, cède avec empressement à toutes les raisons captieuses qu’on lui donne pour excuser des œuvres dépourvues de toute utilité actuelle ou prochaine.

Ce que nous venons de dire des chemins de fer vaut aussi des routes et des chemins de terre. Tout chemin vicinal est-il utile? Oui, dans une certaine mesure, puisqu’il ajoute à la commodité des transports pour quelques personnes. Mais quand le chemin nouveau est parallèle à un autre, quand il ne fait qu’abréger très faiblement la distance pour un petit nombre de propriétés, il ne vaut souvent pas la peine que les pouvoirs publics le construisent et l’entretiennent. Dans un grand nombre de départemens de France, il y a eu, depuis une dizaine d’années, un aussi grand gaspillage