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penseur, » mais qui enveloppe les deux acceptions ensemble, et, si l’on peut ainsi dire, qui les solidarise. On est libertin, en ce temps-là, dans la mesure où la religion, en contraignant la liberté des allures, gêne la licence des mœurs; et ce que l’on attaque dans l’autorité de son enseignement, comme le rediront bientôt en vingt manières les Bossuet et les Bourdaloue, qui s’y connaissent peut-être, c’est la sévérité de sa discipline. Comment d’ailleurs en serait-il autrement? et sur quoi la négation eût-elle pu s’appuyer à une époque où ni la critique des textes, ni l’exégèse, ni l’histoire des religions, ni la science enfin n’étaient encore nées?

C’est ce qui ressort d’un autre livre : la Doctrine curieuse des beaux esprits, ou prétendus tels, publié, en 1623, par le révérend père Garasse, de la Société de Jésus, que ses démêlés avec Balzac et avec Saint-Cyran, le père du jansénisme, devaient rendre presque célèbre. Il y dénonçait à son tour, bruyamment, avec une violence d’invective qui se sentait encore des fureurs et du mauvais goût des prédicateurs de la ligue, ces maudits athéistes, « ivrongnets, moucherons de taverne, Sardanapales, bélistres et autres jeunes veaux : » ce sont là de ses moindres coups, et, s’il s’en fût tenu à de pareilles injures, nous aurions lieu de louer sa modération. Le livre était particulièrement dirigé contre ce malheureux Théophile de Viau, l’auteur de Pyrame et Tisbé, tragédie plus inoffensive encore que ridicule; d’une traduction ou d’une paraphrase du Phédon, peu fidèle, encore moins orthodoxe; et enfin, et surtout, d’un Parnasse satyrique, dont les obscénités brutales ramenaient dans la langue française, avec l’ancienne grossièreté latine, la moderne corruption italienne : les « priapées » des Minores dans les Ragionamenti de l’Arétin. Théophile avait fait école ; et autour de lui se groupaient les Frénicle, les des Barreaux, les Saint-Pavin, les Mitton, jeunes alors, Lhuillier, ce maître des comptes qui fut le père de Chapelle, et dont il faut lire l’historiette dans Tallemant des Réaux, d’autres encore dont il n’est demeuré que les noms. Entre autres principes, ils professaient « qu’il n’y a point d’autre divinité ni puissance souveraine au monde que la NATURE, — c’est Garasse qui imprime le mot en capitales, — laquelle il faut contenter en toutes choses, sans rien refuser à notre corps ou à nos sens de ce qu’ils désirent de nous. » Et, il est vrai de dire que, de la première partie de cette maxime, ils n’étaient point assez forts pour en tirer toutes les conséquences, qui d’ailleurs aujourd’hui même ne sont pas épuisées, mais ils tiraient très bien celles de la seconde; — et il y en a quelques-uns parmi eux qu’elles devaient suffire pour mener finalement assez loin.

Or, en ce temps-là même, Descartes venait de rentrer en France,