place ; et que, là même où il paraissait extérieurement établi, comme chez un Arnauld et chez un Nicole, ses conséquences essentielles, étant stérilisées par l’esprit du jansénisme, ne pouvaient y produire leur plein et entier effet. Pareillement, si l’on oublie que cette lutte a rempli le siècle, on ne s’explique pas que le cartésianisme ait recruté ses principaux adhérens parmi les précieuses et chez les libertins ; nous reviendrons tout à l’heure sur ce point. Mais ce que l’on s’expliquerait moins encore que tout le reste, c’est que le XVIIe siècle apparaisse dans son ensemble comme un pont jeté sur le courant où les eaux du XVIe siècle se confondent avec celles du XVIIIe siècle, et la philosophie des derniers « Humanistes » avec celle des premiers « Publicistes. » La raison en est que dans le temps même où le cartésianisme acheminait les idées vers la philosophie du XVIIIe siècle, le jansénisme, intervenant, leur a barré la route. Sans doute, empêchées de passer par cette route qu’elles avaient choisie, elles en ont pris une autre, comme il arrive toujours dans l’histoire des idées, qui ne disparaissent point avant d’avoir accompli leur œuvre. Mais ce n’était plus cette voie droite ou royale; c’était un chemin difficile et oblique ; et tandis qu’elles le gravissaient lentement et péniblement, la conception de la vie, substituée par le jansénisme à celle du cartésianisme, occupait le devant de la scène.
Il est permis d’aller plus loin encore, et de dire que, par une conséquence naturelle, c’est le XVIIIe siècle à son tour, dont certaines parties ne s’expliqueraient point sans cette lutte presque séculaire du jansénisme et du cartésianisme. Pourquoi, par exemple, dès 1734, dans ses Lettres philosophiques. Voltaire a-t-il pris Pascal à partie, ou pourquoi, dans le singulier Éloge qu’il en a prononcé en 1778, Condorcet, ce Condorcet que l’on a si bien appelé « le produit supérieur » de la civilisation du XVIIIe siècle, a-t-il essayé le premier de transformer Pascal en un halluciné? « Va, va, Pascal, laisse-moi faire, — écrivait Voltaire dans une lettre bien connue à son ami d’Argental, au lendemain même de la publication de ses Lettres philosophiques, — tu as un chapitre sur les prophéties où il n’y a pas l’ombre de bon sens ;.. attends, attends ! » Avant même d’entrer dans ce rôle d’ennemi public de la religion qu’il ne devait revêtir que beaucoup plus tard. Voltaire, servi par son instinct, avait compris que l’on ne ferait rien tant que l’on n’aurait pas discrédité à fond le jansénisme, et ruiné sans retour l’autorité du livre des Pensées. Et, en effet, lui qui vivait dans un temps dont nous sommes obligés aujourd’hui de recomposer laborieusement et péniblement la psychologie, il avait mesuré le pouvoir de ce livre demeuré cependant imparfait, il en avait vu l’action sur les intelligences,