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Fénelon, à la fin du siècle, n’en peut contenir son indignation; dans des lettres et dans des Mémoires qu’il fait passer à Rome par l’intermédiaire du père Le Tellier, confesseur du roi, — et qui ressemblent à des notes ou à des rapports de police, — il dénonce les personnes, princes et princesses du sang, cardinaux, évêques, magistrats, et réclame contre elles, pour en finir, des mesures de violence[1]. Même la destruction et le rasement de Port-Royal, la violation sacrilège des sépultures des religieuses, ne lui suffiront point ; il lui faudra le renouvellement solennel des anciennes censures; et son Nunc dimittis,.. le pieux archevêque ne le prononcera qu’en apprenant la promulgation de la bulle Unigenitus.

Lorsqu’une société tout entière adopte ainsi pour règle ou pour profession des mœurs, une doctrine philosophique ou religieuse, il peut bien ne pas arriver à la littérature de s’en inspirer, mais le cas est rare ; et, ce qui est plus rare, c’est qu’elle choisisse précisément

  1. Comme ces Mémoires sont peu connus, ou du moins rarement cités, j’ai pensé qu’il serait bon de donner ici quelques extraits du principal. Il est daté de 1705. Fénelon supplie le souverain pontife de ne pas croire qu’en lui adressant ce Mémoire secret « clam legendum » il obéisse à d’anciennes rancunes, et il continue :
    « Ex inuumeris per sexaginta et quinque annos experimentis, jam abunde constat, nullam amplius spem esse ut Janseniana factio remediis ad mansuetudinem temperatis sanetur... »
    Et les dénonciations nominatives commencent :
    « D. Cardinalis Noallius, archiepiscopus Parisiensis... nihil audit, nihil videt, nihil ratum facit nisi quod suggerunt aut doctor Boileau, aut doctor Duguet, aut pater de la Tour, oratoriensium præpositus generalis,.. quos Jansenismo imbutos esse nemo nescit... »
    D. Cardinalis de Coislin...
    D. Cardinalis Le Camus...
    His ducibus adjunguntur complures episcopi.
    Quid de ordinibus religiosis? Dominicain jam fere omnes... Discalceati Carmelitæ.. Augustiniani ordinis plerique theologi... Canonici regulares sanctæ Genovefæ.. utriusque congregationis Benedictini en dogmata pro virili parte propugnant...
    At vero si, a scolis theologiæ, ad regiarn aulam oculos converteris, videre est principissam de Condé...
    Principissa de Conti, Regis filia, medicum Dodart, insignem factionis ducem, domi carissimum habet...
    Franciæ cancellarius in Epistolis ad Provincialem scriptis prima litteranum elementa a puero didicisse palam gloriatur...
    D. de Torcy, exterorum, ut vocant, administer, Pomponii filiam Arnaldinæ gentis uxorem duxit.
    Parisiense Parlamentum ab hoc morbo immune ne existimes... Primus Præses miris artibus mentem dissimulat, at vero, si ex liberioribus colloquiis, quando cum amicis facetus ridet, intimum illius sensum explorare fus sit, factioni clam favet... »
    Arrêtons-nous sur ce dernier trait; il vaut la peine qu’on le médite; et quand on l’aura médité, que l’on se demande si le Fénelon qui est capable de pareilles insinuations, ressemble beaucoup à l’aimable et souriant prélat que l’on continue de nous montrer à travers son Télémaque.