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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/475

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pas bien loin; le sénat est là pour arrêter la révision au passage. Soit ! C’est vraisemblable. Quels étranges politiques cependant qui veulent diminuer le sénat, affaiblir ses pouvoirs, le réduire à un rôle inutile, et qui finissent par compter sur lui pour les protéger contre leurs imprévoyances! Et c’est ainsi que M. le président du conseil se propose d’offrir à l’opinion quelque chose de clair, de sensé, pour la rallier et la tranquilliser, pour la détourner des votes d’impatience et des fétichismes dangereux !

A la vérité, M. le président du conseil a un collègue qui possède un autre secret pour rallier l’opinion, pour reconquérir la popularité au profit du gouvernement et de la république, en remettant l’équilibre dans les finances. C’est l’impôt sur le revenu combiné avec un dégrèvement de l’impôt sur les boissons : rare et précieux spécifique pour faire croire aux esprits simples qu’on va en finir avec les déficits, au monde radical qu’on ne recule pas devant les réformes, au populaire qu’on s’occupe de lui en mettant les riches à contribution. En réalité, le projet de M. le ministre des finances Peytral n’est qu’un expédient de politique radicale qui ne répond à rien, ne remédie à rien, et qui introduirait certainement dans notre administration fiscale les procédés les plus dangereux.

Que veut-on dire par l’impôt sur le revenu? Ce n’était pas même une nouveauté il y a un siècle ; la vraie et grande réforme de la révolution a été, non pas de créer cet impôt, qui existait déjà, mais de l’étendre à toutes les classes sans distinction de privilégiés, de l’appliquer dans une pensée d’égalité et d’équité. Depuis, il est partout dans notre système financier. Par le fait, qu’est-ce que la contribution foncière, si ce n’est un impôt sur le revenu? La contribution mobilière, les patentes, sont des impôts sur le revenu. La taxe sur les valeurs mobilières établie par l’assemblée nationale est un autre impôt sur le revenu. Tout dérive du même principe appliqué sous des formes diverses. Ce qu’on propose aujourd’hui n’est tout simplement, sous une couleur radicale, qu’un subterfuge de fiscalité superposant un impôt nouveau à tous les impôts qui existent, atteignant, après les élémens saisissables de la fortune privée, la personne même, la personne dans l’ensemble de ses ressources présumées, souvent hypothétiques. Voilà la vérité ! Mais ce qu’il y a évidemment de plus grave dans la combinaison nouvelle, c’est le système inévitable, nécessaire de perception. Comment estimera-t-on les fortunes particulières, souvent variables et incertaines? M. le ministre des finances établit des procédés d’évaluation, des commissions locales de taxation. Le plus clair est que la fortune privée resterait livrée à l’appréciation de quelques commissaires. C’est le pouvoir de taxer remis à l’arbitraire, c’est l’inquisition introduite dans les affaires particulières de