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et nous ne saurions par conséquent trop tôt nous préoccuper de préparer le plan de l’expédition et d’en étudier les moyens d’exécution. La conquête de la Kabylie est comme un siège à entreprendre; on marchera pour ainsi dire à la sape; ce qu’on aura pris ou enlevé devra être définitivement acquis à nos troupes. Tout pas fait en avant sera une menace de plus pour l’ennemi, une possibilité de l’atteindre plus sûrement, plus efficacement. Il n’y aura point de pas en arrière. Le temps, la patience, les routes, les points fortifiés, voilà nos moyens de dompter ces fiers Kabyles, dignes de nous par leur énergie et par leur courage. »

Le plan de campagne attendu par le ministre lui fut adressé le 15 janvier 1857. Pour l’exécuter, le maréchal Randon ne demandait rien de moins qu’une armée, 30,000 hommes. Il en avait bien, l’année précédente, employé 15,000 pour une opération partielle et de moyenne importance. En fait, il avait raison de vouloir être fort, très fort, afin d’en finir complètement et vite ; mais qu’auraient dit les plus anciens de ses prédécesseurs, le maréchal Clauzel, par exemple, avec ses 10,000 hommes? Les temps étaient changés, le maréchal Randon profitait du changement, c’était légitime.

La conquête faite, voici comment se ferait l’occupation : « Nous n’aurons pas besoin de recourir à ces moyens extrêmes qu’il a fallu trop souvent employer pour obtenir le gage de la victoire. Les villages, au lieu d’être détruits, seront occupés par des bataillons ; des voies de communication seront ouvertes pour rendre accessibles les parties même les plus abruptes. Ce qui s’est produit en d’autres lieux se présentera en Kabylie. Une fois le prestige de l’inviolabilité du territoire dissipé, notre occupation consolidée sur certains points stratégiques, notre volonté d’être maîtres du pays bien constatée, les Kabyles se soumettront à cette volonté, plus forte que la leur, et l’on doit espérer qu’ils persisteront d’autant plus dans cette résolution que notre domination ne devra pas apporter de notables changemens à leurs usages, ni même modifier leur organisation intérieure. Leur territoire est trop peuplé pour que nous songions en aucune manière à y introduire l’élément européen.

« L’esprit démocratique incarné chez ces montagnards n’admet pas les grands chefs. C’est ainsi que les Ouled-ou-Kassi ne se sont maintenus dans la vallée du Sebaou qu’au moyen de smalas composées d’élémens divers auxquels le bach-agha faisait des avantages considérables; ils avaient ainsi le commandement de la vallée, par cela même une certaine influence dans la montagne ; mais jamais cette influence n’a été dominatrice. Si-el-Djoudi, bach-agha du Djurdjura, a perdu une grande part de son autorité sur les siens, le jour même où il a été investi des fonctions que nous lui avons données.