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s’appliquaient-ils à se les rattacher. Le fait d’appartenir à une famille opposante n’était pas une cause d’ostracisme. On voyait au quai d’Orsay, sous le dernier régime, jusque dans le cabinet du ministre où aboutissent tous les secrets de notre politique extérieure, chargés des travaux les plus confidentiels, et avancer rapidement, des secrétaires qui avaient d’intimes attaches dans les partis hostiles. Le gouvernement impérial plaçait son personnel diplomatique au-dessus de basses suspicions; il estimait que la diplomatie, comme l’armée, doit rester en dehors des dissensions intérieures, qu’elle a pour mission de défendre les intérêts supérieurs et permanens du pays, et non les passions étroites et changeantes des partis. Il n’admettait pas qu’un galant homme pût médire, à l’étranger, du gouvernement qu’il représente, trahir les intérêts de son pays et subordonner à ses préférences personnelles ses devoirs professionnels. « Sans un système de promotion sagement et invariablement exécuté, disait M. de Talleyrand dans le projet de réorganisation diplomatique qu’il soumit au premier consul, il ne se forme aucun esprit, aucun honneur de profession. La seule manière d’aimer utilement le gouvernement de la république est de s’attacher à la position dans laquelle on sert, et comme, sans principe de promotion, on ne peut pas être assuré de la position dans laquelle on se trouve, il n’est pas possible qu’on s’y attache. » Tous les anciens ont connu cet esprit, cet honneur de profession qui faisait des membres de notre diplomatie, élevés à la même école, grandis sous la même discipline, une famille compacte, patiente, laborieuse, imprégnée des leçons du passé, ainsi que le comprenait le prince de Talleyrand, lorsqu’à la veille de sa mort, dans une étude consacrée à un vieux serviteur, il passait en revue, devant l’Académie des Sciences morales et politiques, les rouages du département dont il était le représentant le plus illustre.

Il montrait, en racontant la vie du comte Reinhardt, qui, du point de départ le plus modeste, était arrivé par son labeur aux plus hautes situations, les services qu’un diplomate pénétré du sentiment du devoir et des traditions peut rendre à son pays. « Le comte Reinhardt, disait-il, exempt de calculs personnels, puisait ses inspirations dans la religion du devoir, et pour lui le devoir consistait en une soumission exacte aux instructions de ses chefs, dans une vigilance de tous les momens jointe à beaucoup de perspicacité ; ne laissant jamais le département dans l’ignorance de ce qu’il lui importait de savoir, en une vigoureuse véracité dans tous ses rapports, qu’ils dussent être agréables ou déplaisans ; dans une discrétion à toute épreuve, dans une régularité de vie qui appelait la confiance et l’estime, dans une représentation décente; enfin, dans un soin constant de donner aux actes de son gouvernement