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effusion, au nom de la France, du service qu’il nous avait rendu, en pénétrant à coups de canon dans la Ville éternelle, au mépris de la convention du 15 septembre 1864. Il alla, dit la légende, jusqu’à se jeter dans ses bras. S’il avait dépendu de lui, l’Italie eût repris Nice ; déjà il avait laissé entrevoir à M. Crispi et à ses amis, dans une lettre publiée depuis, sa rétrocession éventuelle. Le comte Chaudordy dut lui adresser une verte admonestation pour le rappeler au respect de nos droits et lui défendre de préjuger, par son langage et ses correspondances, les intérêts de notre politique. — « Vous avez déshonoré la république en baisant les mains d’un roi, » lui dit Gambetta de sa voix solennelle des grands jours, lorsque, au mois de décembre, après son extravagante campagne diplomatique, il revint à Tours, dégrisé des cajoleries savoisiennes de Victor-Emmanuel et des protestations florentines de ses ministres.

Gambetta, dont l’esprit était gouvernemental, comprit qu’il jouerait le jeu de la Prusse et briserait les derniers liens de notre politique extérieure avec les puissances, en substituant des hommes nouveaux, sans attaches, à des serviteurs éprouvés. Bien conseillé par le comte Chaudordy, qu’il écoutait volontiers, il refusa de sacrifier nos cadres aux passions et aux convoitises de son parti ; il trouva sage d’atténuer notre état révolutionnaire auprès des cours étrangères par une représentation correcte, traditionnelle. La délégation de Tours fit appel au dévoûment de l’ancienne carrière ; elle maintint comme chargé d’affaires : M. Tissot à Londres, le marquis de Gabriac à Pétersbourg, le baron Bartholdi à Madrid, le baron Charles de Reinach à Berne, M. Lefèvre de Behaine à Rome, M. Ducros-Aubert à Constantinople ; elle laissa ministres : M. Fournier à Stockholm, le baron Baude à Athènes, le comte Armand à Lisbonne, le comte Treilhard à Washington ; elle m’accrédita auprès du roi d’Italie, nomma le comte de Mosbourg ministre à Vienne, et envoya en Suisse le marquis de Chateaurenard, qui sut régler à notre satisfaction la question du Chablais et du Faucigny. Tous firent respecter le drapeau mutilé de la France, et si la défense nationale, que nos ennemis s’efforçaient de ravaler et de transformer en une horde de révolutionnaires, fut acceptée par l’Europe comme une émanation légitime du patriotisme, elle le dut à leurs efforts, à leur crédit, à l’estime qu’ils inspiraient. Ils luttèrent vaillamment, jusqu’à la dernière minute ; on compta avec eux, même pendant les jours odieux de la commune. Aucun succès militaire, malheureusement, ne vint fortifier l’autorité de leur parole. Le comte de Bismarck surveillait avec anxiété leurs démarches de son quartier-général victorieux; il