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voient deux rouler sur le sable et veulent fuir, lorsqu’à ces premiers d’autres succèdent. On en compta plus tard trente et un. Ils étaient encore vivans le lendemain. L’un d’eux même ne mourut que le mardi, après avoir failli, dans un dernier mouvement, écraser une dizaine de paysans qui se mettaient en mesure d’en tirer le lard. La plupart de ces cachalots étaient des femelles. Quelques-unes, pleines, donnèrent le jour à leur petit en se débattant, ou peut-être même après qu’elles étaient mortes, sous l’effort du poids de leur corps. L’abbé Le Coz était accouru. Un jeune lieutenant-général de l’amirauté, qui paraît avoir bravement payé de sa personne au milieu de ce charnier, le seconda de son mieux. Ils mesurèrent ensemble les animaux, et l’abbé Le Coz, pour sa part, fit sur eux d’excellentes observations dont les naturalistes de profession n’ont peut-être pas assez tenu compte dans ta suite.

Le crâne et une partie du squelette d’un des plus grands individus, un mâle certainement, fut transporté au’jardin du roi, où il devint plus tard une des plus belles pièces du cabinet d’anatomie, quand celui-ci fut créé par Cuvier. Lui-même avait acheté en Angleterre un squelette entier. On le monta dans une des cours du Muséum, qui conserve encore le nom de cour de la baleine mais les intempéries en firent vite une ruine. On avait découvert aussi que le vendeur, sans doute pour augmenter son prix avec les dimensions de l’animal, avait mis à ce squelette plus de vertèbres qu’il n’en doit avoir. Profitant d’une vacance de la chaire d’anatomie, les professeurs du Muséum ordonnèrent la destruction d’une pièce qui méritait peut-être plus d’égards, pour avoir été, pendant cinquante ans, une sorte de document classique connu et cité de tous les anatomistes européens.


III.

Parmi les grands animaux, il en est peu dont l’organisation soit aussi longtemps restée obscure, dans quelques uns de ses traits fondamentaux, que celle du cachalot. Jusqu’à ces dernières années, on n’avait eu guère d’autre occasion de l’observer, que ces échouages d’individus le plus souvent dans un trop mauvais état pour que la science en tire grand profit. Si le cachalot s’est jeté vivant à la côte, c’est, la plupart du temps, dans quelque canton éloigné, sans communications faciles. Avant qu’on soit averti et surtout arrivé, la décomposition, aidée par la chaleur dans ces grands corps qui n’en finissent pas de se refroidir, a déjà fait son oeuvre. Si l’anatomiste peut encore intervenir, c’est au prix de quels efforts ! de quels dégoûts ! Il faut, pour s’en faire une idée, avoir