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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/666

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mais ils s’y trouvent comme noyés et perdus dans l’élément indigène et européen. On en compte 20,000 tant au Caire qu’à Alexandrie. C’est peu, car on y trouve 90,000 Français, Anglais, Grecs et Italiens, qui ont pour eux des forces physiques, des cohésions, des ressources en argent et en crédit que les Levantins n’ont pas. Que l’occupation anglaise ait une fin, — Tout arrive, — et les Européens afflueront en Égypte en plus grand nombre que par le passé ; ils y viendront pour s’y enrichir, mais en enrichissant le pays où ils auront apporté leur industrie et leur argent. C’est à ces immigrans, riches et intelligens, que les indigènes qui aiment leur pays devraient s’unir pour combattre l’influence encombrante, c’est-à-dire britannique. Avec leur aide, ils arriveraient à se faire rendre la place qu’ils ont le droit d’occuper au soleil.

Les Levantins sont nombreux au Caire, et surtout à Alexandrie ; doués d’une belle et vive intelligence, ils n’en ont pas moins une grande tendance à vivre, comme les Napolitains, dans un dolce far-niente. On les dit serviables à la façon espagnole, qui est de promettre plus qu’ils ne peuvent tenir; mais soyez persuadés de leur bon vouloir jusqu’à la limite extrême de ce qu’il leur sera possible de faire. Les Circassiens et les officiers qui se soulevèrent à la suite d’une impolitique mise à la retraite n’étaient pas sans mérite militaire, et ils firent des conscrits égyptiens d’admirables soldats. C’est à l’absence de ces chefs éprouvés dans l’armée qu’on peut, sans se tromper, attribuer les sanglantes défaites de celle-ci et la perte du Soudan. Le colonel Selve, qui se connaissait en hommes, les tenait en grande estime. C’est appuyé sur eux que Méhémet-Ali avait entrepris et mené ses réformes à bonne fin. Quand il fut bien persuadé qu’il n’obtiendrait rien de la nature molle de ses sujets, il fit enlever de la Turquie, de l’Arménie, de la Circassie, et même de la Grèce, des jeunes gens qu’il transporta sur les bords du Nil. Il leur donna une éducation la plus forte possible, afin que, hommes faits, ils pussent occuper de hautes fonctions, aussi bien dans l’armée que dans l’administration. On m’a affirmé qu’Ismaïl-Pacha serait encore khédive, s’il eût continué ce système de recrutement, et s’il s’était moins appuyé sur ses propres sujets. J’ai vu dans les rues du Caire quelques-uns de ces hommes rais d’office à la retraite. Quoique âgés, leurs yeux brillaient d’une sombre énergie. Ainsi qu’il arrive aux Européens établis en Égypte, ils ont subi la mystérieuse loi qui s’oppose à ce qu’ils fassent souche en se reproduisant. Ceux qui, exceptionnellement, ont rompu le charme, n’ont fourni que des produits incomplets. Ce qu’il en reste abhorre cordialement les Anglais, mais ils ne détestent pas moins les Français et tout ce qui n’est pas né dans le rayonnement de