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précoce de cette princesse, morte à quinze ans, peu de temps après avoir été enfermée, selon l’usage, dans un des palais d’Alexandrie. Elle, qui avait reçu une éducation européenne, ne put s’habituer à un entourage de servantes esclaves ; ayant grandi dans une liberté relative, elle ne put s’astreindre à la surveillance blessante d’un eunuque, noir du Soudan. Sortait-elle en voiture, glaces fermées, elle étouffait dans le féredjé qui l’enveloppait, se mourait faute d’air sous le voile blanc, l’étroit yachmak qui couvrait son visage. Elle y succomba[1].

Le khédive actuel est pieux et pratiquant ; chaque vendredi, qui est le jour consacré au repos en pays musulman, il se rend à la mosquée pour y prier dans un parfait recueillement. Autre contradiction avec la prodigalité proverbiale de son père Ismaïl : le fils a réduit le personnel de son palais au strict nécessaire. Des musulmans, — Toujours les mêmes, — lui reprochent sa parcimonie, car s’il est un pays au monde où il soit admis qu’une foule de serviteurs, portiers, cochers, valets, cuisiniers et eunuques, vivent dans une grasse oisiveté, c’est celui d’Égypte. On en fait une obligation aux pachas, et cette obligation doit durer jusqu’à la mort ou la ruine de ceux à qui elle est imposée. Le khédive a horreur de la violence, du sang, du fanatisme, et c’est lui qui a fait modifier une certaine partie de la cérémonie du Tapis saint de La Mecque, celle où des illuminés se précipitaient sous les pieds ferrés du cheval qui portait le représentant du Prophète. Beaucoup de ces exaltés étaient relevés ayant ou le crâne fendu, ou la poitrine défoncée, ou les côtes brisées. Le clergé ottoman, tout d’abord, s’opposa à la modification de cette odieuse pratique ; le prince, texte sacré à la main, lui prouva que la loi de Mahomet interdisait les mutilations volontaires. À un savant uléma qui lui soutenait qu’il n’y avait de juste, de bon, d’excellent qu’Allah, le docte khédive répliqua : « Lisez le Coran : il y est dit qu’il ne peut y avoir et qu’il n’y a qu’un Dieu. S’il en est ainsi, celui que les chrétiens adorent comme tel doit être aussi juste, aussi bon, aussi excellent que le nôtre, puisqu’il n’y en a qu’un. » Les jours de fête, il aime à aller avec sa famille à la station d’Helwan-les-Bains, voisine du Caire et non loin du Nil. Il y joue le rôle du grand calife des Mille et une Nuits, Aroun-al-Raschid, et s’amuse de la stupéfaction de ceux auxquels il fait connaître sa qualité princière longtemps après avoir débattu avec eux le prix d’un porc ou d’un mouton. D’habitude, il paie fort cher l’un

  1. Il ne devait plus y avoir d’esclavage en Égypte depuis 1884. À ce sujet, une convention avait été faite avec l’Angleterre. La convention est restée lettre morte. Pourquoi n’est-elle pas observée ? Il faut des esclaves, et surtout des eunuques, pour garder les harems, et il sera difficile, jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent, qu’il en soit différemment.