Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convenable de ses forces et de ses talens, on est tenté de chercher ailleurs. A défaut d’une grande situation ou d’un grand commandement en Allemagne, un petit trône en Orient et le titre de roi ont quelque prix. Tel ambitieux à l’affût des occasions, qui est devenu roi dans ces derniers temps, est loin d’égaler le duc Ernest en ouverture d’esprit, en mérite comme en courage, et les Cobourg se distinguent entre tous les princes par la facilité étonnante avec laquelle, dans le grand combat de la vie, ils s’adaptent à tous les milieux. Il y avait alors à Paris un mystérieux souverain qui inspirait de grandes inquiétudes aux pacifiques, et donnait de grandes espérances aux amateurs de nouveautés et d’événemens. C’était un homme à projets, il avait le goût des entreprises et des hasards, et, au tempérament d’un joueur, il joignait l’humeur généreuse; il aimait à prendre, il aimait presque autant à donner. Ceux qui l’avaient approché assuraient qu’il serait un jour un grand distributeur de couronnes, qu’il avait dans sa poche la clé du pays des rêves ou, selon l’expression de M. de Bismarck, du pays des surprises et de l’inconnu.

Le duc Ernest II avait connu à Londres le prince Louis-Napoléon, et il en avait meilleure opinion que son frère Albert; un homme qui a sa fortune à faire n’a pas les mêmes sentimens pour les chercheurs d’aventures que celui dont la fortune est faite. Lisez ses Mémoires avec soin, entre les lignes, et il vous paraîtra certain qu’il se flatta quelque temps de mettre à profit ses relations avec l’empereur Napoléon III. En 1854, au moment où la France et l’Angleterre venaient d’envoyer leur ultimatum à Saint-Pétersbourg, il se présenta aux Tuileries, où il fut reçu à bras ouverts, avec le plus cordial empressement. C’était la première fois qu’un prince régnant rendait visite au nouvel empereur. On sait par le piquant récit de M. Rothan quelle peine il avait eue à se faire reconnaître par les trois cours du Nord. La visite du duc rompait la glace; c’était une avance que les vieilles dynasties faisaient au parvenu. « Vous êtes un autre Daniel, lui dit à son retour le roi Frédéric-Guillaume IV; vous êtes descendu dans la fosse aux lions. » Le duc n’a jamais eu peur des lions. Il avait tout ce qu’il fallait pour plaire, il plut beaucoup.

-Les hommes d’imagination s’entendent facilement et se prennent en goût. L’empereur se sentit tout de suite à l’aise avec le duc de Saxe-Cobourg. il lui fit ses confidences, lui raconta ses plans, lui exposa tout au long les idées napoléoniennes qui ont inspiré toutes les actions de sa vie, car versatile, inconstant dans le choix des moyens, il n’a jamais varié dans ses projets. Il reprochait à son oncle de n’avoir pas assez compté avec les vœux, les désirs des peuples. Il se proposait d’inaugurer un nouveau napoléonisme fondé sur le principe des nationalités, et il entendait que la guerre de Crimée servît à défaire les