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goûte en effet, c’est l’imitation des mœurs et du langage de son temps. Quoi qu’on en ait pu dire, soyez certains qu’il n’y avait pas beaucoup d’Hermiones, ou de Roxanes, ou de Phèdres à la cour du grand roi; cette violence de passions n’y était pas connue, cette révolution, cette hardiesse, et ce « front » dans le crime; on aimait plus modérément, avec moins de fureur, et surtout moins d’éclat, moins de bruit, plus de secret. Mais, c’est bien un chevalier français que le galant Orosmane, c’est le chevalier de Froulay, c’est le chevalier d’Aydie, et chez les Ferriol ou les d’Argental vous rencontreriez Zaïre sous les traits et le nom de Mlle Aïssé.


Vertueuse Zaïre, avant que l’hyménée
Joigne à jamais nos cœurs et notre destinée,
J’ai cru sur mes projets, sur vous, sur mon amour,
Devoir en musulman vous parler sans détour...


Ainsi s’exprimait peut-être encore ce «Sarmate, » Maurice de Saxe, quand il faisait sa cour à Adrienne Lecouvreur, et je crois entendre celle-ci lui répondre à son tour :


Ces noms chers et sacrés et d’amant et d’époux,
Ces noms nous sont communs; et j’ai par-dessus vous,
Ce plaisir si flatteur à ma tendresse extrême.
De tenir tout, Seigneur, du bienfaiteur que j’aime,
De voir que ses bontés font seules mes destins,
D’être l’ouvrage heureux de ses augustes mains;
De révérer, d’aimer un héros que j’admire...


Oui, c’est ainsi que l’on parlait, que l’on devait parler alors, et dans ces vers galans, faibles et harmonieux, Voltaire a fait passer le sourire heureux et aimable, les inflexions de voix caressantes, et jusqu’aux attitudes élégamment passionnées de ce moment du siècle. Par un reste de galanterie, on mettait alors encore de l’esprit dans l’amour, et on ne s’autorisait pas pour plaire du droit de sa passion, mais du désir que l’on avait de plaire, ce qui en donnait quelquefois les moyens. Tous élégans, tous charmans, tous sourians parmi leurs larmes, c’est un moment unique du XVIIIe siècle, celui qui fut la perfection même de la politesse des mœurs, du plaisir et de la joie de vivre que Voltaire, dans Zaïre, a fixé pour toujours. Et ce mérite, qui en est bien un, si vous étiez tenté de le croire vulgaire, je veux dire commun, si vous ne l’estimiez pas à son prix, qui est grand, sous ce vain prétexte qu’une œuvre est toujours de son temps, cherchez-le donc dans le Glorieux