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COMPLICE !..

... Ce soir-là, le vent sifflait, gémissait, hurlait ; par soubresauts, il bondissait contre la maison, l’étreignait, la secouait furieusement ; puis, c’était un silence lassé, comme pour reprendre haleine, et après, une rage, avec des râles et de rauques gémissemens.

Dans la salle basse, l’horloge, une vieille horloge de famille, incrustée de cuivre, grinçant de tous ses ressorts selon son habitude chagrine, avait laissé tomber du haut de la corniche neuf fois les notes criardes de sa voix fêlée. Et, au même moment, ma gouvernante, Ludivine (quel nom, bonté céleste !), m’avait souhaité le bonsoir, après avoir placé à ma portée le thé, le sucre et le rhum, et elle s’était retirée dans sa mansarde pour y dormir jusqu’au matin, de son imperturbable sommeil de vierge quinquagénaire et immaculée. L’heure était venue, l’heure de prédilection, où seul près de mon feu, les pieds sur les chenets, j’allais savourer le silence de la maison assoupie, fumer un peu, rêver beaucoup. Rêver?., est-ce bien le mot? A quarante-sept ans, l’imagination a l’haleine courte et se prête mal à l’illusion infinie du rêve. Penser?.. Méditer? C’est trop solennel pour rendre ce va-et-vient d’impressions, de souvenirs, de réflexions brèves, d’idées indécises, à peine ébauchées, cette songerie molle, flottante, qui tourne sur elle-même, s’aventure ou s’arrête, s’élève et retombe en toute liberté et sincérité. C’est dans le domaine de la pensée quelque chose comme un « tour du propriétaire, » pacifique et nonchalant. J’y prenais, ce soir-là, un plaisir plus vif encore, au bruit de la tourmente, des branches rompues qui craquaient et s’abattaient lourdement, des