monsieur, l’interprétation de cette loi à travers la dangereuse complexité des événemens?.. Mais le discernement de la conduite qu’il convient de tenir? Cela n’est point un jeu d’enfans... Quel sujet de préoccupations toujours renaissantes!.. — Vous vous expliquerez mieux, monsieur, les troubles, les inquiétudes dont mon esprit est harcelé, cette habitude d’analyser, de désarticuler, si je puis dire, mes impressions et mes mouvemens, même les plus spontanés, quand vous saurez que j’ai passé une longue partie de mon existence au séminaire, et qu’il s’en est fallu de peu que je ne sois prêtre à l’heure qu’il est !
Ce fut mon tour de rire, et je pris le ton badin pour répondre :
— « L’esprit est prompt, mais la chair est faible,» n’est-il pas vrai, mon cher monsieur?.. On ne saurait dire du moins, ajoutai-je avec un coup d’œil vers la jolie dormeuse, « que vous ayez jeté le froc aux orties. »
Il ne comprit pas tout d’abord ma plaisanterie ; quand il l’eut saisie : — Vous voulez dire que j’ai jeté ma soutane aux pieds de Rose? Il n’en est rien, monsieur. Un temps fort long, plusieurs années, se sont écoulées entre ma sortie du séminaire et ma première rencontre avec elle... Non, les séductions de la chair n’ont été pour rien dans mon affaire... Ce serait plutôt l’orgueil, l’orgueil de l’esprit, comme on dit en style ecclésiastique... En deux mots, voici mon histoire. J’avais trois ans quand un vieux prêtre me ramassa un soir d’automne dans la boue où m’avait laissé choir ma mère ivre-morte... J’ai un vague, très vague souvenir qu’elle avait été battue, rouée de coups par l’homme avec qui elle vivait, — mon père peut-être? — je ne sais. Il la frappait parce qu’elle avait bu... Il la jeta à la porte et moi avec elle... La pluie tombait à verse... Je me souvenais de cela ce soir, au milieu du clapotis sinistre de l’eau ruisselant de partout, dans cette humidité glacée qui réveillait une lointaine sensation de détresse. Ma mère me traîna, me porta tant qu’elle put, marchant au hasard, sans autre idée, j’imagine, que de fuir son bourreau, jusqu’à ce qu’enfin elle tomba sur le sol fangeux et y demeura inanimée... Un prêtre passa... Il vit cette femme, la fit porter à l’hôpital, où elle mourut dans le délire de la fièvre, sans avoir repris connaissance.
Le prêtre se chargea de moi, me fit élever, m’instruisit, et plus tard me mit au séminaire, où j’ai appris le latin, le grec, la théologie... Les braves gens qui m’entouraient firent de leur mieux pour m’inspirer le goût du sacerdoce; de mon côté, je ne demandais qu’à entrer dans les ordres. Je fis, pendant longtemps, tous mes efforts pour leur persuader, pour me persuader à moi-même que j’avais la vocation. Peine inutile!.. L’indépendance de mon caractère,