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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/855

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révolte contre le catholicisme aboutit à le purifier, que, par exemple, la réformation a produit surtout une réforme salutaire dans l’église catholique, l’amène à prédire une magnifique rénovation religieuse au cours du XIXe siècle ; sur quoi M. Scherer ne manque pas de montrer de Maistre annonçant le triomphe du protestantisme : « … Comme beaucoup de prophètes, de Maistre a obéi à des pressentimens dont il ignorait le véritable sens, et il a exprimé, sous une forme empruntée à ses préjugés,.. une vérité qui dépassait son horizon. » Du Scherer d’alors, c’était de bonne foi ; du Scherer d’à présent, ce serait peut-être de bonne guerre. — De même sa conciliation à venir entre la religion et la science peut se prêter à des interprétations assez diverses : j’y peux voir les ouvrages de Nicolas, j’y peux voir la Lettre à Berthelot. De même son « paganisme nettoyé, » devenu le christianisme, peut conduire à l’idée d’un christianisme épuré et subtilisé, dont le christianisme de de Maistre ne serait que le premier trait et l’ébauche, dogmes et mystères laissant tomber leurs enveloppes et leurs gaines, se dégageant et se développant en idées pures, et devenant une simple philosophie idéaliste, comme celle de M. Mathew Arnold… Encore une fois, il est dangereux par son abus des généralités et maladroit par sa hardiesse à s’y jeter. La puissance du penseur a fait souvent la faiblesse de l’apologiste. Cum potens tum infirmus.

Et tout cela revient à dire qu’il est infiniment intéressant. Au sortir du XVIIIe siècle, les amateurs d’idées, qui se plaisent à regarder le beau conflit des théories à travers le monde, cherchent un homme qui soit bien la négation complète du XVIIIe siècle. Chateaubriand chatouille cette fantaisie plutôt qu’il ne satisfait ce désir. Il harcèle le XVIIIe siècle plutôt qu’il ne le combat. De Maistre est au centre même de la doctrine la plus opposée à celle des philosophes. Individualisme, liberté de pensée, liberté de conscience, idée de progrès purement humain, souveraineté partagée, la pensée elle-même, la pensée reine du monde, la déesse raison, tout cela trouve en lui un ennemi acharné, vigoureux, admirablement armé et redoutable. Il est la négation du XVIIIe siècle, même dans sa personne. Les « philosophes, » à l’ordinaire, étaient hommes de mœurs faciles, célibataires ou mauvais maris, aussi peu chefs de famille que possible ; de Maistre est l’époux, le père, l’homme du foyer domestique, en bon patricien qu’il est, le pater familias malgré la séparation, la distance, invinciblement. Il est charmant, mais avant tout il est une respectabilité, que tous reconnaissent et saluent : on n’a jamais traité M. de Maistre familièrement. De corps et d’âme, il est le contre-pied des hommes qu’il combat.

Et, cependant, il en est, de ce siècle qu’il déteste tant. Il en est par