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sa manufacture d’Halifax, sous la raison sociale de Crossley et fils, désignation qu’elle conserve encore aujourd’hui.

A dater de ce jour, ses affaires prirent une autre tournure, et quand il mourut, en 1837, sa maison occupait déjà un rang important. Sa femme lui survécut, aimée et vénérée de ses fils, consultée par eux, humblement confuse d’une prospérité qui dépassait toutes ses espérances, se reportant sans cesse à leurs modestes débuts, effrayée parfois de l’extension prodigieuse que prenait cette maison fondée par elle et son mari, et dont la fortune montait si vite et si haut. Quand les infirmités de la vieillesse la clouèrent sur son fauteuil, son plus grand plaisir était de voir défiler sous ses fenêtres tout ce peuple d’ouvriers, confortablement et chaudement vêtus, bien nourris et bien payés, qui saluaient, en passant, d’un geste respectueux et reconnaissant, l’humble et courageuse vieille à laquelle ses fils devaient l’opulence, et eux-mêmes un travail assuré et lucratif.

Et cependant ce qu’elle vit était peu de chose encore comparé à la prospérité que l’avenir réservait à ses enfans. Ils héritaient de son grand cœur et de l’indomptable et patiente énergie de leur père. Disposant de capitaux considérables, ils introduisirent dans leurs fabriques les améliorations nouvelles, se maintenant au courant des progrès de la science, perfectionnant leurs machines et leurs procédés de teinture, élargissant chaque année le cercle de leurs opérations. En 1851, la découverte d’un nouveau métier de tissage porta au plus haut point la fortune de leur maison, dirigée par Francis Crossley. D’un bond, ils passèrent d’une situation prospère à celle de millionnaires, inondant le monde de leurs produits. Francis Crossley, le prince-marchand, l’homme le plus en vue d’Halifax, fut élu membre du parlement par ses concitoyens, et, plus tard, par le district de West-Riding.

Aussi généreux que riche, il fut le bienfaiteur de sa ville natale, à laquelle il fit, entre autres dons, celui d’un parc public en 1856. Lui-même a raconté, dans le discours qu’il prononça lors de l’inauguration du parc d’Halifax, comment lui vint l’idée de ce don princier, si fort apprécié des classes ouvrières. Dans ce récit, on retrouve la trace de l’influence que l’humble et religieuse Martha Turner exerça sur l’esprit de ses enfans, le noble héritage qu’elle leur transmit. « Ce que je vais dire maintenant, je ne l’ai jamais dit à mon meilleur ami, pas même à la chère compagne de ma vie; mais, en m’entendant, elle se souviendra peut-être du jour où je lui demandai, au retour d’une promenade solitaire, dans quel chapitre de la Bible se rencontraient ces mots: «Le riche et le pauvre se retrouveront en ce lieu, et le Seigneur sera leur père à tous.» Lors