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lord Selborne, lord Lincoln, le duc d’Abercorn, Sydney Herbert, M. Lowe. Les deux grands partis qui se disputaient le pouvoir, whigs et tories, avaient les yeux fixés sur cette serre chaude politique où se révélaient les orateurs futurs. Ils leur facilitaient, au moyen des bourgs pourris, l’accès du parlement, où plus d’un entrait au sortir de l’université. C’est ainsi qu’en 1832 le duc de Newcastle, père de lord Lincoln, l’ami de collège de William-E. Gladstone, offrait à ce jeune homme de vingt-trois ans de le faire élire à Newark, et que le futur Premier d’Angleterre allait siéger à la chambre des communes, où les tories l’accueillaient comme une importante recrue, comme l’espoir de leur parti. Un peu plus tard, son rival, Disraeli, le futur lord Beaconsfield, entrait à la chambre dans les mêmes conditions.

Depuis lors, cinquante-six années se sont écoulées, et le nom de W.-E. Gladstone, fils du prince-marchand de Liverpool, a retenti dans l’Europe entière, mêlé à tous les grands événemens qui ont agité le monde. Cette longue carrière, qui n’est pas encore achevée et qui fut si fertile en évolutions hardies, réserve peut-être encore d’autres surprises. Elle appartient à l’histoire, mais qui peut dire si, sans l’énergie et l’intelligence de l’arrière-petit-fils du modeste brasseur de Biggar, le nom de Gladstone eût figuré au premier rang des grands noms de l’Angleterre ?


VII.

Au-dessus de cette riche aristocratie territoriale, la première de l’Europe et peut-être la dernière qu’il lui sera donné de voir ; au-dessus de ces opulens plébéiens et de leurs millions accumulés ; au-dessus de cette double incarnation de la tradition ancienne et du monde moderne personnifiant les forces vives et les vrais facteurs politiques de l’Angleterre, se dresse un pouvoir, souverain de nom, jalousement limité en fait, que le respect défend mal contre l’indifférence. Pouvoir d’apparat, dont on n’estime pas payer trop cher l’effigie silencieuse ; rouage détourné de sa destination première, richement rémunéré à la condition de fonctionner rarement, d’obéir docilement à l’impulsion discrète qui lui est donnée et d’opérer toujours en sens inverse de son action primitive, souvent irréfléchie, mais spontanée. Royauté, de vivante devenue seulement visible, occupant une place qu’il y aurait danger à laisser vide ; sentinelle taciturne montant la garde auprès de ce qui fut.

La royauté anglaise est riche, mais sans pouvoir. La fonction apparente subsiste, mais sa réalité est ailleurs. Pour la déposséder ainsi, pour faire de ce moteur dirigeant un rouage docile, obéissant