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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/891

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détails de l’équipement du soldat, l’étiquette de sa cour, la généalogie de sa noblesse, le mécanisme de sa maison royale; mais sa mémoire surchargée de faits, incapable d’idées, craquait sous la pression trop forte. Exact, ponctuel, méticuleux, sa cour était le temple de l’ennui ; ses fils avaient hâte d’en sortir, de respirer et de vivre. Miss Burney, qui nous a tracé le tableau de la vie des princesses et de la reine, nous les montre tapissant du matin au soir, tapissant toutes les chambres du château, pendant qu’une dame d’honneur fait une lecture édifiante et que le souverain s’absorbe en d’inutiles études.

Mais si l’on végète à la cour, l’Angleterre prospère et s’enrichit. L’évolution commerciale s’accentue sous George III et atteint son apogée sous George IV. Dans l’Europe épuisée d’hommes et d’argent, l’Angleterre, qui n’a prodigué que son or, le voit rentrer de toutes parts. Elle est seule à fabriquer et à vendre; elle possède un puissant outillage, une flotte commerciale et la mer. Le triste règne de George IV est l’une des plus brillantes pages de son histoire. La nullité du souverain laisse le champ libre au génie de ses hommes d’État, de Pitt, Castlereagh, Peel, Burke, Sheridan, Fox, de l’Iron Duke Wellington, du grand marin Nelson, à l’activité de ses manufacturiers, négocians, armateurs, à la ténacité de ses inventeurs. Le mannequin couronné, l’ami du beau Brummel, le premier gentilhomme de l’Europe, le pitoyable amant de Perdita, le séducteur de Mrs Fitz Herbert, le cruel époux de Caroline de Brunswick, qui règne sur le royaume-uni, boit, joue, s’habille, invente des modes et compose des parfums pendant que ses alliés, ses généraux et ses soldats luttent contre l’empereur, succombent sur cent champs de bataille et ne triomphent qu’en armant l’Europe entière et en écrasant sous le nombre leur redoutable adversaire.

Essaie-t-il de gouverner ? Une seule fois il en eut la velléité, et mal lui en prit. Peel et Wellington l’amenèrent promptement à merci; il dut se soumettre, promettre d’obéir et de les laisser maîtres. Eux le laissaient dépenser. Son tailleur lui coûtait 250,000 francs par an; le parlement payait ses dettes : 160,000 livres sterling une première fois, 650,000 livres sterling la seconde. Il coûtait autant qu’une armée; mais l’Angleterre estimait que ce n’était pas payer trop cher un pantin docile. Puis il avait grand air, hébergeant les souverains alliés, les diplomates éminens qui venaient à Londres saluer le roi d’Angleterre et remanier avec ses ministres la carte du monde.

Quand il meurt, la transformation est accomplie. L’évolution lente poursuivie sous le règne de ses prédécesseurs et le sien est achevée; évolution politique et sociale, manufacturière et industrielle. « République couronnée, » ainsi que devait la qualifier plus