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mufti, le grand-cadi d’Égypte, le patriarche des coptes, 30 ulémas et juges, 28 pachas, le grand-rabbin, la plupart des gouverneurs de province, 100 notables et négocians de différentes religions dont la majorité se disait appartenir au parti national, il fut solennellement déclaré que, le khédive ayant agi contre les lois religieuses et politiques du pays, les ordres qu’il donnait, ainsi que ceux de ses ministres, devaient être considérés comme nuls. Le conseil continua à maintenir Arabi dans ses fonctions de ministre.

La guerre sainte eût été certainement déclarée contre l’Angleterre au pays de l’islam, elle eût embrasé l’Inde à court délai, si sir Garnet Wolseley, depuis lord Wolseley, ne s’était hâté de porter ses forces de Ramleh à Port-Saïd et de Port-Saïd à Ismaïla. Il violait en plein, il est vrai, la neutralité du canal ; mais combien il faut être simple pour croire que les Anglais ne la violeront pas toutes les fois qu’ils le jugeront utile à leurs intérêts ! Ma conviction intime est que la convention du canal de Suez, autour de laquelle tant de bruit s’est fait, n’a pas plus de base solide qu’un monument élevé sur le sable mouvant. Il n’y a plus que les diplomates et quelques âmes honnêtes qui croient à l’utilité des conférences, à la force des traités et à la sainteté des conventions. En tout cas, la conduite des Anglais en Égypte n’est pas faite pour les disposer à garder leurs illusions.

Lorsque Arabi et ses lieutenans eurent connaissance du mouvement précipité des Anglais, ils se portèrent en avant et les attaquèrent entre Magfar et Maxamah, mais sans succès. Le 24 août, toutes les forces égyptiennes étaient à Tel-el-Kébir, qui, bien délendu, eût pu arrêter l’ennemi. Le 28, elles enlevèrent les positions anglaises à Kassassine ; malheureusement pour elles, la cavalerie indienne finit par sabrer une partie des assaillans ; les Anglais perdirent quelques canons, eurent 20 hommes de tués et 59 blessés. Autre attaque, à l’aube du 4 septembre, sans résultats sérieux. Pendant les journées des 10 et 11 septembre, l’armée britannique resta sous ses tentes, ayant à souffrir d’une chaleur torride et n’ayant qu’une eau détestable à boire. Mieux valait l’action. Dès que le soir tomba sur le désert, les tentes furent enlevées sans bruit, et les Anglais s’acheminèrent par des collines désertes, sablonneuses, jusqu’à 300 mètres du camp ennemi. Celui-ci, silencieux aussi, veillait, prévoyant ou plutôt prévenu d’une attaque avec les premières lueurs du jour. Elles parurent, ces lueurs, une grande clarté se fit soudainement, et la bataille s’engagea. Elle dura cinq minutes : les Égyptiens, après quelques coups de fusil tirés en l’air, pour la forme, prirent la fuite, ayant leur général en tête. Il en est qui, simplement, jetèrent leurs armes sur le sable, sans