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protecteurs et protégés, faisant ainsi le jeu de nos ennemis en leur laissant le champ libre. Les hôtels sont de nouveau ouverts. Sur l’Esbékieh, dans la rue montante du Monkshdieh, les magasins recommencent à étaler comme d’habitude leurs étoffes de Damas et de Perse, leur sellerie aux vives couleurs, des armures sarrasines, des tapis de prières aux arabesques d’or et fraîchement débarqués de Rhodes et de Chypre, des poteries phéniciennes, produits des fouilles de l’oasis du Fayoum, et la multitude des dieux que le fellah découvre lorsque, pour fertiliser son champ, il y transporte la poussière de ce qui fut Memphis et la Babylone d’Égypte.

Pour fêter le retour du souverain, le Caire s’illumina, et des personnes plus ou moins compromises ne furent pas les dernières à tirer des pétards. Le vainqueur de Tel-el-Kébir fit, pendant deux heures, défiler sous les fenêtres du palais d’Abdin les troupes qui se disaient elles-mêmes « libératrices, » car personne n’eût songé à le faire. Quinze mille hommes environ, Anglais, Écossais, Indiens, passèrent sous les yeux du khédive, qui, dans une tribune richement décorée, avait fait placer le premier ministre, Chérif-Pacha, à sa droite, et à sa gauche le héros du bombardement d’Alexandrie, l’amiral Seymour. « Quant à la population indigène, écrit le chargé de l’agence française à M. Duclerc, alors ministre, elle s’est montrée extrêmement sobre d’acclamations et de démonstrations amicales, moins nombreuses, d’ailleurs, qu’on n’eût dû le supposer. »

Les habitans du Caire, après avoir donné de grandes preuves de sagesse, faisaient montre de tact et de perspicacité. Et quelle entente, entre son altesse et ses restaurateurs! Le général en chef de l’armée britannique proclame qu’il n’est venu en Égypte que dans le seul dessein d’établir l’autorité du souverain, et que son armée n’opérerait, par conséquent, que contre ceux qui la méconnaîtraient ; de son côté, le souverain déclare aux autorités civiles et militaires « d’avoir à obéir à ce général en chef toutes les fois qu’il lui plaira de prendre des dispositions nécessaires à sa mission. »

Comme, par suite d’un décret khédivial l’armée égyptienne se trouvait licenciée; que le bateau qui cinglait vers Ceylan portait le dernier ministre de la guerre en Égypte, il fallait bien organiser d’autres forces pour rassurer ceux qu’une vision sanglante troublait sans cesse. Les Anglais demandèrent alors l’autorisation de créer une police et un corps de gendarmes indigènes. Ce fut accordé. Un de leurs-généraux ne dédaigna pas, aux appointemens de 30,000 francs, d’en être l’organisateur; il demanda six mois pour constituer un corps de sécurité publique : nous sommes en 1888, et non-seulement la police et la gendarmerie sont encore