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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/919

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points extrêmes du canal de Suez, pour démontrer au monde, tout à coup désabusé, qu’une nation comme la Grande-Bretagne pouvait ruiner un pays avec l’intention de le sauver.

Ce ne fut pourtant ni faute de tâtonnemens ni par manque d’habileté. Le général, premier organisateur de la police, étant reconnu insuffisant, l’Angleterre envoya de Constantinople au Caire le colonel Baker de galante mémoire, lequel forma une armée dont une grande partie alla périr au Soudan. L’Égypte étant, ce que dit Voltaire de la Hollande, un pays de canaux et de canards, elle y expédia une nuée d’ingénieurs qu’escortait une autre nuée de cadets affamés ; beaucoup venaient des bords du Gange. En voyant le Nil, ils crurent découvrir un cours d’eau nouveau, comme si, en débarquant à New-York, ils croyaient découvrir l’Hudson. Ils appliquèrent à ce fleuve inconnu des procédés d’irrigation tellement impropres que ses qualités naturellement bienfaisantes se changèrent en qualités nuisibles.

Tout à coup, l’Angleterre s’aperçut qu’elle possédait un homme qui pouvait tout sauver, tout régénérer. J’ai nommé lord Dufferin, pour qu’on ne s’y trompe pas. Il débarque aussitôt en mission en Égypte, et, à cette nouvelle, le Times déclare qu’il est urgent d’agir avec énergie dans ce pays. Il fallait absolument pour cela, dit-il, « que l’on fît appel à un diplomate et à un administrateur d’une habileté éprouvée; or lord Dufferin possède au suprême degré les qualités nécessaires pour remplir ces doubles fonctions.» Lui aussi est le right man in the right place. Le Standard veut que l’on se serve de cet « instrument » pour réorganiser et frapper hardiment. Le Daily-Telegraph affirme que lord Granville ne pouvait pas faire une nomination plus propre à augmenter la confiance que sa récente politique en Égypte a déjà inspirée au public. « Toutes les fois, s’écrie le Daily-News, qu’il y a une tâche difficile à remplir, c’est à lord Dufferin qu’on la confie. » La Pall-Mall-Gazette connaît tous les fils de cet écheveau embrouillé qu’on appelle la question égyptienne, et, à son avis, le cabinet de Londres doit concevoir un plan de réorganisation, sans se préoccuper outre mesure des dispositions de la France ou de toute autre puissance. « Il est indispensable, ajoute-t-elle, que nous abandonnions notre timidité diplomatique pour prendre une vigoureuse initiative. Lord Granville aurait tort de croire qu’il a devant lui un lion qui barre le passage, et la position conquise par l’Angleterre doit lui donner assez d’autorité pour faire accepter le projet auquel il se sera arrêté. » Toutes ces louanges prouvent, comme M. Tissot l’écrit de Londres au ministre français à Paris, que l’opinion publique en Angleterre éprouve une satisfaction réelle en voyant que le gouvernement de la reine