Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/930

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE MUSICALE

Théâtre de l’Opéra : Roméo et Juliette, opéra en 5 actes, paroles de MM. Jules Barbier et Michel Carré, musique de M. Charles Gounod.

On redoutait un peu pour Roméo et Juliette un déplacement qui, s’il n’était pas sans gloire, n’était pas sans danger. On savait que l’épreuve avait réussi à Faust; il y a juste un an que la cinq-centième représentation l’a prouvé. Mais, disait-on, Faust avait pour lui des proportions plus vastes, plus de variété et d’homogénéité. Des pages aussi discrètes que le duo du balcon et celui de l’alouette risquaient de ne pas franchir la rampe de l’Opéra ; leur charme allait se rompre, et, par excès de zèle pour la gloire du maître, on n’arriverait qu’à diminuer, peut-être à déconsidérer, l’un de ses deux chefs-d’œuvre.

Les prophètes de malheur en ont été pour leurs prophéties. Roméo a triomphé à l’Opéra comme ailleurs, et dans notre Louvre musical les deux ouvrages garderont désormais leur place véritable et définitive.

Le Roméo d’aujourd’hui est, à peu de chose près, le Roméo d’hier; mais ce peu de chose est de trop. L’œuvre pouvait émigrer intacte. La version primitive ne comportant pas de dialogue parlé, Roméo n’avait pas besoin des raccords que nécessita jadis l’émigration de Faust. Il n’y avait ici rien à ajouter. Le maître n’aurait jamais dû consentir à écrire un ballet pour Roméo, et, après l’avoir écrit, il a dû regretter la concession faite à des préjugés que des hommes comme lui ont le droit et même le devoir de contrarier et de rompre.

Le ballet de Faust, en plein enfer, presque en dehors de l’action, avait du moins des excuses, ne fût-ce que la réputation voluptueuse de la localité