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Nous n’attendions pas avec moins d’inquiétude l’acte des duels, qui n’est pas le meilleur, que seul eût pu brosser Meyerbeer avec la couleur musicale, dramatique, et pour ainsi dire historique, de son triple génie. Là encore, nous avons été agréablement surpris. Dans son nouveau cadre, le tableau paraît plus grand et mieux composé. L’invective réciproque : Capulets ! Montaigus ! race immonde ! manque toujours de développement et de cette rage folle qui devrait précipiter l’une sur l’autre les deux moitiés de la ville. D’autres haines frémissent au troisième acte des Huguenots, par exemple dans une querelle pourtant moins tragique et moins sanglante que celle-ci. Mais, en somme, à l’Opéra le tout a fait très bonne figure. Sans avoir de valeur mélodique, le chœur ajouté par M. Gounod pour fortifier une fin d’acte un peu grêle est à sa place et bouche un trou. Au cours de l’acte, certaines pages ou certaines phrases ont admirablement porté à l’Opéra : notamment le déchirant lamento du peuple autour du cadavre de Tybalt, et surtout les préliminaires pathétiques du double duel. La provocation de Tybalt, toute frémissante de haine ; les réponses d’abord contenues de Roméo, puis son admirable explosion ; tous ces dialogues par apostrophes insolentes ou furieuses ont pour ainsi dire pris du champ comme les combattans eux-mêmes.

Une autre scène, celle de la bénédiction nuptiale dans l’oratoire de frère Laurent, a beaucoup gagné en grandeur liturgique. À l’Opéra-Comique, ce mariage secret paraissait expédié en hâte et sans solennité. Le voilà maintenant tel qu’il doit être célébré. Sur les deux jeunes têtes inclinées devant lui, frère Laurent étend les mains, et sa bénédiction, grave et affectueuse à la fois, descend comme le voile d’hyménée que l’église jadis déployait au-dessus des époux. Près du Dieu inaccessible aux rancunes humaines, du Dieu qui ne connaît pas la haine et ne souscrit jamais à l’injustice, les deux enfans étaient bien sûrs de trouver assistance. Moins barbare que certains parens de la terre, le Père qui est aux cieux ne pouvait refuser sa consécration à d’aussi belles amours. De cette consécration, la chaste fille ne se fût jamais passée, mais elle n’en demande pas d’autre. Maintenant elle peut se donner sans honte. Elle a senti dans cette voix toute l’autorité avec toute la bonté divine, et l’union de la majesté et de la douceur donne à la scène une double beauté que peut-être jadis nous n’avions pas assez appréciée.

En écoutant le chant de frère Laurent, nous pensions à une autre prière, infernale, celle-là : l’invocation de Méphistophélès aux fleurs du jardin de Marguerite. Là-bas le démon, comme ici le Seigneur, intervenait dans les tendresses humaines ; il était l’instigateur du mal, comme ce moine est le saint complice du bien ; au lieu de l’influence divine, il appelait les maléfices de la nature au secours d’un amour