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V

Si nous passons maintenant au Sahara proprement dit, nous verrons que les preuves de changemens de climat s’y présentent aussi nombreuses et aussi significatives qu’en Égypte, en Syrie et dans l’Asie-Mineure. De même que dans ces derniers pays, on n’a pas encore trouvé dans le Sahara des représentations artificielles du chameau, tandis que le taureau y est fréquemment figuré. D’autre part, M. Rolland mentionne les nombreuses incrustations de travertins, évidemment produites par des sources qui ont disparu, ainsi que l’innombrable quantité de silex travaillés par la main de l’homme et dispersés sur de vastes surfaces du désert, où ils ne peuvent avoir été transportés, de sorte qu’il faut les attribuer aux habitans qui les ont façonnés sur les lieux mêmes. De ces faits ainsi que de beaucoup d’autres, le géologue français conclut que le climat de l’Algérie a dû considérablement s’altérer depuis le temps des Romains. M. Clavé partage cette opinion. Il signale avec surprise l’immense quantité de fragmens de flèches fabriquées de silex poli qu’on trouve répandus entre Biskra et Ouargla, et, ce qui est plus significatif encore, il a observé dans les parages d’Oglu-el-Kassis ces fragmens recouverts d’une croûte de gypse de 0m,32 d’épaisseur, évidemment déposée par une source dont toute trace a disparu. « Ces fragmens, revêtus d’incrustations de gypse, dit M. Clavé, constituent probablement les témoins les plus anciens de l’industrie humaine. »

Si, ainsi que je crois l’avoir démontré, le Sahara et les contrées qui bordent la Méditerranée ont éprouvé pendant la période historique des changemens très prononcés dans leur climat, le niveau de ces contrées a été également modifié à une époque comparativement récente.

Parmi les nombreux exemples que j’ai rapportés à l’appui de cette assertion[1], je ne mentionnerai que la métamorphose qu’a subie la célèbre cité d’Utique, qui, sous les Carthaginois, possédait un port magnifique, mais se trouve aujourd’hui séparée de la mer par une surface sablonneuse d’environ 10 kilomètres de largeur. Il n’est peut-être pas au monde de localité qui offre un contraste plus mélancolique entre le passé et le présent que cette plaine aride, que j’ai traversée (en juillet), sous le soleil brûlant de l’Afrique, sans y rencontrer un être vivant ; et cependant j’étais habitué à de

  1. Tchihatchef, Géographie physique comparée de l’Asie-Mineure, p. 130-322.