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ripostes, par ses hautains défis, par ses attitudes et ses colères de coq de combat. Ses ennemis, qui étaient nombreux, et ses amis, qui le redoutaient plus qu’ils ne l’aimaient, s’accordaient à penser qu’il ne serait jamais qu’un tribun, qu’il n’était pas assez maître de lui pour devenir un homme d’état, un homme de gouvernement. L’ambition le rongeait. Plus d’une fois, il crut voir la vague approcher, mais elle se retira bien vite. Il essuya de violens dégoûts ; il laissait éclater ses dépits. Il fut sur le point de renoncer à la partie, de rentrer dans la vie privée ; mais aussitôt sa démission donnée, il se ravisait. Lorsque, en 1876, la gauche parvint au pouvoir, aucun portefeuille ne lui fut offert ; il avait été à la peine, il ne fut pas à l’honneur. On sentit cependant que c’était un homme à ménager, et peu après on le porta à la présidence de la chambre. Il joua quelque temps le rôle de protecteur du cabinet, et il semblait dire à ses protégés : Appliquez-vous à me plaire ou il vous en cuira.

Enfin, en 1878, M. Depretis lui offrit le ministère de l’intérieur. Il l’accepta avec empressement, et ne le conserva que deux mois environ. Il était ministre quand le roi Victor-Emmanuel et le pape Pie IX moururent à quelques semaines d’intervalle, et dans ces deux crises, l’ex-révolutionnaire prouva qu’il s’entendait à administrer, à maintenir l’ordre. Mais en deux mois il s’était attiré de si méchantes affaires et des inimitiés si implacables que, sur les pressantes instances de M. Depretis et pour échapper à des tempêtes, il dut résigner son office avant la rentrée de la chambre. Que lui reprochait-on ? Beaucoup de choses, et surtout sa raideur d’esprit, ses procédés cavaliers, son humeur brusque, impérieuse, cassante. Il semblait qu’après cette catastrophe sa carrière fût définitivement close ; on disait de lui : Il est fini, il est mort, il n’en reviendra pas. Dans les élections de 1880, il dut se débattre prodigieusement à Naples, à Tricarico, à Palerme, pour ne pas rester sur le carreau.

Le découragement le prit une fois encore, et une fois encore il donna sa démission, qu’il se décida difficilement à retirer. Sa suprême ressource fut de s’unir à MM. Zanardelli, Nicotera, Cairoli et Baccarini, de former avec eux ce conseil de généraux sans soldats, cette junte de mécontens aigris, ce parti des cinq boudeurs, qu’on appelait la pentarchie. On put croire que c’en était fait, qu’il bouderait jusqu’à sa mort, lorsque, enfin, par un brusque retour de fortune, M. Depretis lui offrit de nouveau un ministère. Peu de temps après, celui qu’on nommait le vieux de Stradella vint à mourir ; M. Crispi lui succéda dans la présidence du conseil, et à cette présidence il joint aujourd’hui deux portefeuilles, les affaires étrangères et l’intérieur, lourd fardeau qu’il porte allègrement. On le contrarierait beaucoup si on s’avisait de le soulager en lui ôtant une partie de sa charge.