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les traits pour la peindre, c’est celle qui s’est gravée d’elle-même dans des yeux qui la voient tous les jours. Cependant votre action continue de se dérouler, toute la salle en perd le fil, et, ce qui est plus grave, eu dissociant les impressions du paradis, des loges et de l’orchestre, vous avez rendu à ses origines, — et conséquemment à ses différences, — un public à qui vous aviez promis, avant tout, de les lui faire oublier… Mais, si je voulais en dire davantage, il faudrait aborder la question de la mise en (scène, et je craindrais qu’aujourd’hui cela ne m’entraînât trop loin.

Aussi bien est-il une autre loi sur laquelle j’aime mieux insister, comme étant non pas plus certaine, plus nécessaire, mais en quelque sorte plus fondamentale, et une loi dont on pourrait, avec un peu d’adresse, déduire aisément toutes les autres. Elle est d’ailleurs plus simple encore, s’il se peut, que fondamentale, puisqu’elle ne consiste essentiellement qu’en ceci, que le « drame » est le « drame, » c’est-à-dire une « action. » Mais justement parce qu’elle est très simple, les conséquences en sont nombreuses, et nous n’avons qu’à les suivre pour préciser avec exactitude en quoi le théâtre diffère du roman. Tandis que dans le roman il ne dépend que du romancier de diminuer au profit des circonstances la part de la volonté ; au théâtre, au contraire, c’est la part de la volonté qu’il faut que l’on fasse toujours plus grande que celle des circonstances. Le propre du héros de roman, — et je ne parle, si vous le voulez, que du roman contemporain, réaliste et naturaliste, — le propre de Mme Bovary, de Germinie Lacerteux, de Sapho, de Frédéric Moreau, de Numa Roumestan, comme généralement de tous les Rougon-Macquart ou de tous les Quenu-Gradelle, c’est d’être le a produit » de leur hérédité, de leur milieu, de leur temps, de ce que l’on appelle enfin les « grandes pressions environnantes, » et d’obéir à l’occasion plutôt que de la diriger. Mais le propre, au contraire, du personnage dramatique, le propre de Dora et de Théodora, de Fanny Lear et de Froufrou, de Francillon et de Suzanne d’Ange, de Maxime Odiot et de Marguerite Laroque, de Me Guérin et de M. Poirier, c’est d’être les « maîtres » de leurs actions, ou du moins de prétendre l’être ; et ils sont dramatiques précisément dans la mesure où ils résistent à ces « pressions » dont les personnages de roman, eux, sont les victimes désignées. Ou encore, et en deux mots, le propre des uns, c’est d’être agis, et celui des autres, d’agir.

Appliquez maintenant la formule, et Voyez en passant combien de petites questions elle pourrait nous aider à résoudre. Qu’est-ce, par exemple, qu’une comédie « romanesque ? » C’est une comédie, quel qu’en soit d’ailleurs le sujet, où les circonstances tiennent plus de place que les résolutions, et dont les personnages ne sont pas tant les artisans que les instrumens de leurs destinées. Pourquoi de