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réussirait-on à nous le faire comprendre ? et, si l’on y réussissait, quel genre d’intérêt voudrait-on nous y faire prendre ? Aussi n’y en prenons-nous aucun. Toutes les circonstances qui, dans le roman, nous expliquent Germinie, M. de Goncourt a vainement essayé d’en faire passer quelques-unes dans sa pièce. Il n’y a point réussi, parce qu’il n’y pouvait pas réussir. Car, s’il eût retourné son sujet, comme nous le disions plus haut, s’il eût fait de Germinie la maîtresse de ses actes et de ses résolutions, s’il lui eût seulement donné quelque conscience d’elle-même, s’il l’eût rendue responsable de sa douloureuse aventure, étant donnée d’ailleurs la condition des personnages, il tombait fatalement dans le mélodrame le plus vulgaire, et sa pièce appartenait de droit au répertoire de l’Ambigu. C’est ce qui était arrivé à M. Zola, si l’on se le rappelle, avec son Assommoir. L’habile homme qui s’était chargé de le transporter à la scène, et qui sait, lui, son métier, s’y prit tout comme pour lui-même il mit devant ce qui était derrière ; et quand ce ne fut plus du Zola, mais du Busnach, alors le mélodrame fit courir Paris. Je ne crois pas, ni ne souhaite au surplus, que Germinie Lacerteux fasse courir personne, mais je ne puis ici m’empêcher de faire une remarque. Si la pièce n’a pas encore disparu de l’affiche, et si même elle y peut durer encore quelques jours, elle le devra uniquement aux parties de mélodrame engagées dans l’intrigue ; — et au jeu aussi de Mlle Réjane, que d’ailleurs je louerais davantage, si les « effets, » comme on dit au théâtre, en étaient seulement moins « sûrs. » De telle sorte que, par une ironie du sort, les seuls applaudissemens que recueillera M. de Goncourt, il faudra qu’il en fasse honneur à ce qu’il y a de plus gros, de plus vulgaire, de plus poncif enfin dans sa pièce. Cette situation n’est-elle pas pénible ? Mais la réforme du théâtre ? Ce sera pour une autre fois.

Que si maintenant l’action a été jusqu’ici la première loi du théâtre, croirons-nous qu’aucune réforme doive jamais prévaloir contre elle, et l’abroger ? Je ne le pense pas, puisque, comme on l’a vu, le mot de « loi » n’est ici que l’expression de la nature des choses. Mais ce qu’en revanche on peut bien affirmer, c’est que plus le roman s’inspirera des moyens et de l’esthétique du naturalisme, plus il s’éloignera des conditions du théâtre, et plus, en conséquence, il sera difficile et hasardeux à nos romanciers de vouloir transporter leurs romans à la scène. Qui ne voit, en effet, qu’à mesure qu’il se complaira davantage dans la description des milieux, le roman, nécessairement, fera la part moins grande à la liberté de la créature humaine ? et qui doute que ce soit aujourd’hui sa tendance ? celle du moins des maîtres du naturalisme, contre qui là-dessus nous n’irons pas disputer, parce que, en premier lieu, elle leur a trop bien réussi pour essayer encore de les en détourner, et puis, disons-le franchement, parce que