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avaient l’esprit un peu ouvert, l’intelligence un peu aiguisée. Elle ne se composera plus, si le « triage des capitaux intellectuels » a été fait avec exactitude, que d’élémens tout à fait grossiers, incapables et vils. Privée des élémens de valeur qu’elle contient encore aujourd’hui, elle tombera dans une absolue somnolence. Elle sera l’objet de tous les dédains des autres classes, et elle les méritera par hypothèse, puisque non-seulement ce sera une classe inférieure par situation, mais aussi par ses facultés naturelles. Y a-t-il combinaison plus antidémocratique que celle imaginée par ces grands démocrates ? Ce siècle, qui s’est ouvert par l’apothéose du travail manuel, finit en France par le discrédit, non-seulement pratique, mais théorique, du travail manuel. Tolstoï, au milieu de ses rêveries souvent folles, est du moins un vrai démocrate quand, au lieu de vouloir arracher à la masse du peuple tous les élémens un peu intelligens, il prétend que même les hommes les mieux doués redeviennent peuple et vivent de sa vie. Une société triée et classée par le procédé de M. de La Forge et ses amis serait la plus antisociale de toutes les sociétés : d’une part, tous les gens ayant l’intelligence un peu active ; de l’autre part, tous ceux qui ont une intelligence incapable de se dégrossir, une masse d’ilotes, aucun mélange entre les deux : d’un côté toutes les parcelles de métal précieux, toutes les scories de l’autre ; ces scories, ce serait le peuple.

C’est à cette organisation si antisociale que travaillent, avec leurs bourses et leurs encouragemens de toute sorte, l’état moderne, les départemens ou les provinces, les municipalités. Les bourses, c’est-à-dire l’allocation par les pouvoirs publics des frais d’études secondaires ou supérieures, ne devraient être accordées qu’à deux catégories assez clairsemées d’élèves : les enfans ou les adolescens qui ont des dispositions, non pas exceptionnelles seulement, mais presque merveilleuses : ceux qui, dans les sciences, dans les lettres, dans les arts, peuvent devenir des premiers sujets, car l’humanité aura toujours en surabondance les seconds sujets et les simples utilités ; ensuite les enfans des familles de fonctionnaires d’un certain rang qui, par la mort ou la retraite du chef, se trouvent sans aucune fortune. Il y a une sorte de bienséance de l’état envers les familles de ses vieux serviteurs, quand le sort les a frappées, à faire quelques sacrifices pour empêcher leurs enfans de déchoir, pour peu que ces enfans aient quelque application et quelque fonds intellectuel. Réduites à ces deux catégories, les bourses ne représenteraient, pour l’état central et pour les localités, qu’une dépense restreinte. Nous trouvons, au contraire, au budget national, en 1888, trois ou quatre chapitres qui sont affectés aux bourses : le chapitre 49, doté de 2,700,000 francs pour les bourses de