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peuvent prendre à leur charge les frais matériels d’école, c’est-à-dire le prix que l’écolier devrait acquitter pour le loyer et l’entretien de l’établissement scolaire, pour la rétribution du maître, parfois même, mais avec beaucoup plus de réserve, pour les livres et les fournitures de classes. Ce n’est pas un droit que les familles peuvent revendiquer, à ce sujet, contre l’état, car on chercherait vainement d’où découlerait ce prétendu droit ; ce n’est même pas un devoir positif pour l’état ; mais c’est de sa part, dans les limites qui précèdent, un acte de bienfaisance. Les êtres moraux, comme les êtres individuels, n’ont pas seulement des droits et des devoirs ; il y a en outre, pour eux, une sphère qui n’est pas soumise à l’impératif catégorique, où ils ont la faculté, sans en avoir précisément la mission, de faire des actes utiles et sympathiques. Quand il s’agit, toutefois, des pouvoirs publics, qui peuvent difficilement séparer leur action de la contrainte, de la contrainte fiscale, sinon de la contrainte légale, beaucoup de circonspection et de modération s’impose dans cette sphère facultative. En tout cas, si l’état doit survenir ici pour compléter une tâche qui n’est que partiellement accomplie par d’autres, il ne doit négliger aucun concours volontaire, spontané ; à plus forte raison ne doit-il pas le repousser, ni surtout prétendre le supprimer.

L’enseignement de l’état devient le grand champ clos des discussions des nations modernes ; c’est que l’enseignement d’état tend de plus en plus à ressembler singulièrement à la religion d’état. Il affecte la même infaillibilité, la même arrogance, le même monopole. Il supporte impatiemment une dissidence quelconque ; il est le rendez-vous d’autant de fanatisme. L’état, dont nous avons montré l’absolue impuissance d’inventer, semble vouloir se donner la mission de former les jeunes générations suivant un certain type intellectuel et moral ; c’était aussi la prétention des antiques religions d’état. Le despotisme, dans les choses intellectuelles, aurait donc changé simplement de scène : de l’église, il serait transporté à l’école ; des adultes, il serait passé aux enfans. Quand on sort de l’instruction purement rudimentaire et des matières de fait, comme la lecture, l’écriture, le calcul, la géométrie, la géographie, l’histoire naturelle, on tombe dans les matières controversées, on les rencontre presque à chaque pas : la neutralité de l’école ne peut guère être qu’un mot ; car la philosophie, ce que l’on appelle les notions premières, étant au fond de toutes les connaissances humaines, de toutes celles du moins qui touchent l’homme moral et ses relations avec la société, on se heurte constamment à des idées philosophiques et religieuses, qu’il faut, même pour des enfans, commenter, détruire ou fortifier. L’état ne peut se tirer de cette difficulté que par deux moyens simultanés : en laissant fonctionner