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tombe des mains des brigands, la foi revient à ceux qui l’ont perdue. Jésus, jette les yeux sur nous ; nous sommes près de périr, mais un regard de toi nous rendra l’innocence, et nos fautes seront lavées dans nos larmes. »

Ce qui me frappe surtout dans cette hymne de saint Ambroise, comme dans les autres, c’est de voir à quel point l’inspiration y est sobre et courte. Que nous sommes loin de l’ode grecque, avec sa fougue, ses violences, ses amoncellemens d’images, sa marche capricieuse et l’ampleur de ses développemens ! Ces qualités, qui sont si frappantes chez Pindare et les tragiques grecs, l’hymne chrétienne, celle au moins qui a fleuri en Orient dans les premiers siècles, ne les avait pas tout à fait répudiées. La plus ancienne de toutes, qui se trouve à la fin du Pédagogue de Clément d’Alexandrie, débute comme une ode antique. Le poète, s’adressant au Christ, protecteur de la jeunesse et de l’innocence, l’appelle coup sur coup « le frein des poulains indociles, l’aile des oiseaux qui ne savent pas leur route, le pilote des jeunes enfans, le pasteur des troupeaux royaux : » et les figures les plus différentes continuent ainsi à s’entasser l’une après l’autre, avec une verve, une abondance, un mouvement, auxquels il est difficile de résister. C’est le débordement d’une âme trop pleine, qui ne peut pas contenir ses émotions et les laisse échapper à l’aventure. Si l’on veut avoir un contraste parfait avec cette richesse un peu désordonnée, il suffit d’opposer à l’œuvre de Clément d’Alexandrie ce début de l’hymne du soir de saint Ambroise, plein d’une grâce simple et discrète, et où les contours sont si finement arrêtés :


Deus, creator omnium,
Polique rector, vestiens
Diem decoro lumine,
Noctem soporis gratia.


Il me semble que la diversité du génie poétique des deux peuples se montre dans ce simple rapprochement.

Les hymnes de saint Ambroise obtinrent, dès le premier jour, un très grand succès. Saint Augustin, dans le récit qu’il nous fait de son baptême, nous dit la profonde impression qu’il ressentit en les entendant : « Que de larmes je versai, Seigneur, au son de tes hymnes et de tes cantiques, et que je fus pénétré jusqu’au fond du cœur par les chants harmonieux dont retentissait ton église ! » Il y prit même tant de plaisir qu’il finit par en éprouver quelques scrupules, et s’accusa plus tard, comme d’une faute, d’y être trop sensible. Dans la suite, cette admiration s’est maintenue ; et ce n’est