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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/401

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L’armée du général Hicks partit de Souakim pour gagner d’abord Berber, ville située à 60 kilomètres en amont de la cinquième cataracte, puis Khartoum, également sur les bords du Nil. Elle avait pour objectif le prophète, avec mission de le chasser d’El-Obeïd, où il s’était fortifié. On prédisait à cette armée une fin désastreuse, comme si, en effet, sa destruction était chose prévue, fatale. Ce qu’elle souffrit dès le début de son entrée en campagne est inénarrable. L’air qu’on respirait sur le littoral de la mer était embrasé ; embrasé était le sable dans lequel les hommes enfonçaient jusqu’à mi-jambes ; brûlantes étaient les réverbérations du soleil sur les parois de montagnes volcaniques, et plus brûlans encore les défilés qu’il fallait franchir pour entrer dans le désert. Là, l’immense étendue offrit aux regards de l’armée de hautes dunes de sables labourées par le simoun. Et, quelle régularité merveilleuse dans ses sillons aux reflets d’or, d’où n’a jamais germé que la mort ! C’était bien là le désert impitoyable de Nubie, le même que celui où Cambyse vit tomber un à un ses soldats. On y trouve quelques puits, mais l’eau en est nauséabonde ; des gazelles, mais qui s’enfuient épouvantées à votre approche. Le mirage est incessant dans ces solitudes où pullulent les scorpions et les lézards gris : palmiers se reflétant dans une eau calme et argentée ; villes aux blanches murailles, aux minarets élancés, allées ombreuses et sans fin d’arbres gigantesques, villages entourés de frais jardins, rien n’y manquait, pas même les sables impalpables qui brûlent les yeux, rougissent les paupières, dessèchent les bouches et enveloppent comme un suaire.

À Berber, l’armée se plongea avec délices dans les eaux fraîches du Nil, s’enivra, du parfum des acacias ; puis, après quelques jours d’un repos bien mérité, elle reprit sa marche lente dans la direction de Khartoum.

En ce temps-là, cette ville était pittoresque, égayée comme est le Caire au printemps par la présence d’une multitude d’Arabes, Turcs, Nubiens, Égyptiens, Abyssiniens, Gallos, Nègres et Juifs. Lorsque le mâdhi y pénétra, grande fut sa surprise d’y trouver des Grecs, des missionnaires et quelques sœurs de charité. Aujourd’hui, Khartoum. comme Souakim est ruinée ; c’en est fait de son riche entrepôt de plumes d’autruche, d’encens, d’ivoire, de caoutchouc, de : cotonnades et de son marché très actif d’esclaves. C’était la capitale du Soudan égyptien, et une position de haute importance au point de vue stratégique, située qu’elle est à la jonction du Nil bleu et du Nil blanc.

Lorsque le mâhdi fut informé par ses espions qu’une armée, commandée par un pacha blanc, venait d’y arriver, il abandonna