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Lorsque Méhémet-Ali se mit à parcourir l’Égypte avec une suite de savans européens, il fut frappé de l’aspect désolé qu’avait, au moment des basses eaux, cette immense vallée du Nil. Ce n’était que crevasses, marais desséchés, herbes brûlées, sans autre végétation que celle de quelques palmiers échappés comme par miracle à une destruction générale. Au milieu de cette désolation, on voyait un beau fleuve porter majestueusement, mais sans profit pour personne, ses eaux à la mer. Celles-ci étaient tellement au-dessous du niveau des terres brûlées qu’il eût été facile de les arroser par gravitation, mais il eût fallu pour cela des machines inconnues dans le pays.

Le fellah avait bien la noria ou la sakié en langage égyptien, le chadouf, le nattal et la roue hydraulique à palette, appareils d’une admirable simplicité, ayant l’homme ou le buffle pour moteur, mais tout à fait insuffisans pour une culture importante. On pourra s’en convaincre à l’explication sommaire que j’en donne plus loin, explication dont ces appareils sont dignes, légués qu’ils ont été à leurs descendans par les premiers agriculteurs en Égypte ; leur fonctionnement, encore de nos jours, est une preuve nouvelle de ce respect de la tradition, de cette invariabilité qui distingue les hommes comme les choses d’Orient, et qui s’affirme aux yeux du voyageur dès qu’il sort d’Alexandrie[1]

  1. Le nattal. — Lorsque la hauteur à laquelle l’eau doit être élevée est de 0m,50 à 0m,60 ou ne dépasse pas 1 mètre, on entaille la barge du canal de façon à faire une petite plate-forme au niveau de l’eau ou un peu au-dessus de ce niveau, et l’on pousse la rigole à alimenter jusqu’en face de cette petite plate-forme, en ayant soin de la terminer par un bourrelet en terre recouvert d’une natte qui le consolide ; deux hommes se placent sur cette plate-forme en face l’un de l’autre, symétriquement par rapport à la direction de la rigole et de façon que l’extrémité de cette rigole aboutisse juste au milieu de l’espace qui les sépare et qui est de 1m, 50 environ ; ils sont à peu près debout ou simplement appuyés contre les parois verticales qui ont été entaillées dans la berge pour former la plate-forme. L’appareil manœuvré par ces deux hommes se compose simplement d’une sorte de panier à bords rigides en feuilles de palmier tressées de 0m, 40 de diamètre sur 0m, 25 de profondeur, dont le fond est quelquefois recouvert de cuir et qui est muni de quatre cordes. Les deux hommes, tenant dans chaque main une des cordes, et leur imprimant un mouvement de balancement, lancent le panier dans le canal, puis ils le relèvent, en rejetant en arrière le haut du corps, l’approchent de l’extrémité de la rigole, et chacun d’eux faisant avec le bras le mouvement du terrassier qui vide sa brouette sur le côté ; le contenu du panier se déverse dans le petit canal. Deux hommes peuvent élever par ce procédé 4 à 5 mètres cubes par heure. — Le chadouf. — Lorsque la hauteur d’élévation dépasse 1 mètre, l’effort que les hommes sont obligés de faire pour soulever le panier du nattai devient trop fatigant. On fixe alors le panier à un levier qui permet d’augmenter l’amplitude de son mouvement, et l’on obtient ainsi un nouvel appareil qu’on appelle chadouf et qui suffit pour élever l’eau jusqu’à 3 mètres de hauteur. Le chadouf se compose essentiellement de deux supports verticaux