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leur bévue, qu’ils avaient fait fausse route en désorganisant la vieille armée égyptienne. Elle leur eût été fort utile pour garder le Soudan, ce terrible Soudan où une si grande quantité des leurs a fondu comme glace au soleil.

Voici ce qu‘on pensait, sous Abbas-Pacha, des soldats d’Egypte, quoiqu’ils eussent commencé à perdre déjà quelques-unes des grandes qualités qu’ils avaient acquises sous leur premier instituteur, le colonel Selve :

« Notre soldat égyptien, écrivait un de leurs chefs, est mal vêtu, mal payé et mal nourri ; il n’aurait que cela de défectueux si on pouvait l’en rendre responsable. Sobre, patient, discipliné, infatigable, un peu lent peut-être, il est d’une grande solidité au feu. Il lui manque l’élan, mais c’est aux chefs à lui en donner l’exemple. Le sous-officier, qui se distingue à peine du soldat, fait rarement usage de son autorité, quoiqu’il ait un rôle identique à celui des sous-officiers européens. La tenue générale est pauvre. Les adjudans-majors et les officiers supérieurs feraient bonne figure en Europe, non comme instructeurs, mais comme chefs de troupes sur un champ de bataille. Les colonels sont dignes du poste qu’ils occupent : ils ont de l’autorité, l’habitude du commandement, de beaux traitemens, une connaissance suffisante de l’administration ; ils sont fiers de leur position, qu’ils la doivent à la faveur ou à leurs services. C’est parmi les colonels que le gouvernement trouva, non-seulement des généraux, mais encore presque tous les fonctionnaires de l’état ; de cette façon, il se ménagea la possibilité de combler les vides de ses administrations. Les grades civils et militaires sont donc confondus, mais non assimilés, puisque presque tous les hommes capables sortent de l’armée et peuvent y rentrer en temps de guerre… »

A peu d’exceptions près, les officiers et soldats étaient mariés et pères de familles nombreuses. Cette situation présentait moins d’inconvéniens que nous nous l’imaginons, et le service en souffrait peu. Quand les soldats dressaient leur tente, un camp de femmes s’établissait à peu de distance ; quand ils étaient baraqués, un village de femmes se construisait à portée aussi vite que les baraquemens des hommes ; enfin, dans les villes, on devine par qui étaient occupées les maisons les plus proches des casernes. Jamais, dans le service, la conduite des hommes n’accusait à ce sujet la moindre préoccupation : le jour du départ ils se mettaient en route sans regarder derrière eux, et on voyait les familles arriver à destination presque en même temps. Est-ce assez oriental ? Les Anglais en font tout autant aujourd’hui, et ils n’en sont pas moins braves au feu.