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une marche vers le nord. Exempts de la corvée et de la prestation, les Bédouins se montrent très jaloux de ces privilèges, qui flattent leur esprit d’indépendance et qui constituent un avantage sérieux sur leurs concitoyens fellahs, astreints à ces charges ; néanmoins, les terres qui leur appartiennent ou qu’ils cultivent sont frappées de l’impôt foncier usuel ; leurs troupeaux paient également la taxe ordinaire. Ils sont justiciables des tribunaux ordinaires du pays. Les cheiks des grandes tribus sont tenus en grande estime par les princes souverains, car ils ont toujours fait preuve de loyauté et de dévoûment envers la dynastie de Méhémet-Ali. L’investiture leur est donnée par le gouvernement, sage mesure qui les met sous la dépendance du khédive ; leur dignité est héréditaire par droit arabe de primogéniture. On évalue leur nombre à 245,000 individus, divisés en 75 tribus ; 21,000 sont fixés dans les villes de la population sédentaire ; 126,000 occupent 822 villages et hameaux distincts ; 98,000 campent sous les tentes, sans résidence fixe. Qu’on me permette une digression.

Les Bédouins d’Égypte, réunis en tribus, obéissant à leurs cheiks, occupent de préférence les régions limitrophes du désert, à l’est et à l’ouest de la vallée du Nil ; on en trouve aussi en groupes dans l’intérieur du Delta. Tous ne sont pas nomades : il en est qui sont propriétaires et qui s’abritent sous des constructions solides ; il en est d’autres qui, vivant sous la tente, ne s’éloignent guère des pâturages qui nourrissent leurs troupeaux. Comme nos bergers des Cévennes, des Alpes-Maritimes, des terrains arides de la Crau et de la Sologne, ils sont d’une frugalité incroyable : le fait et un peu de riz leur suffisent. Les tribus errantes, et qui sont en réalité des groupes détachés des tribus sédentaires, parcourent le désert d’une oasis à l’autre, et poussent leurs ramifications jusque dans l’intérieur de l’Afrique, à l’ouest, et, en Arabie, à l’est.

C’est Méhémet-Ali qui a mis un terme aux brigandages des Bédouins, à l’époque où la domination des mamelucks en Égypte leur laissait une grande liberté d’allure. Obligés de cesser leurs irruptions dans des centres paisibles, ils s’adonnent aujourd’hui à l’élevage des chevaux et des chameaux, quoique ces derniers, reconnus moins utiles, moins résistans que les buffles, perdent chaque jour de leur valeur aux yeux des agriculteurs. Ce sont les Bédouins qui sont les intermédiaires obligés du transport par terre de tous les produits du sol qui ne peuvent utiliser la voie du Nil ou de ses ramifications. Autrefois, c’est-à-dire avant l’ouverture du canal de Suez et la création du chemin de fer qui, en plein désert, reliait le Caire à Suez, on leur confiait les trésors de la malle des