Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
445
LE TESTAMENT DU DOCTEUR IRNERIUS.

Elle paraissait très fatiguée et découragée. Elle devait être très énergique, car je ne m’aperçus qu’alors de son abattement. Maintenant qu’elle était affaissée dans le fauteuil, ses mains tremblaient, sa tête se penchait malgré elle de côté ; elle regardait la flamme, profondément troublée et pleine d’angoisse. Elle avait l’air tout à fait déconcerté.

Elle me fit signe de m’éloigner, et me dit, en même temps, d’une voix rauque : — Lisez !

Je me dirigeai vers ma table de travail ; j’en tirai le testament et le plaçai devant moi.

Cette feuille, muette jusqu’alors, allait donc parler. Le moment était solennel.

Dehors, la tempête de vent et de neige continuait. Cependant, je n’étais pas trop inquiet. Je n’aurais jamais cru qu’une habitation aussi ancienne pût être aussi confortable, et qu’une nuit d’hiver y pût offrir autant de charme.

Une fois encore, je regardai la pauvre jeune fille, étendue dans le fauteuil, pour m’assurer que rien ne lui manquait. Le feu pétillant du grand poêle commençait à la réchauffer, car ses joues, doucement éclairées par la pâle clarté de la bougie, reprenaient la teinte rosée qu’elles devaient avoir ordinairement.

Par momens, elle se cachait la figure dans ses mains, et il me semblait que je l’entendais pleurer. Je me levai à moitié. Mais non, ce ne pouvait être des sanglots de jeune fille que j’avais entendus. Peut-être s’endormait-elle. Elle me faisait l’effet d’être si seule, si abandonnée, si désespérée, cette jeune fille pourtant si courageuse, si résolue, si décidée, que je me sentais plein de force et d’ardeur pour la protéger. Depuis de longues années, mon cœur n’avait été aussi calme, et n’avait envisagé l’avenir avec autant de sérénité.

Plein d’espoir je rompis le cachet d’une main ferme, et je lus ce qui suit :

« Mon cher neveu,

« Je sens que ma vie décline. Elle a été trop longue de quinze années. Il est temps que la mort vienne. Cependant, la vie la plus longue devient trop courte dans les derniers jours. Il me reste encore tant de choses à faire ! À proprement parler, je n’aurais qu’à me survivre et à exécuter moi-même ma dernière volonté. Mais comme cela ne se peut pas, je me vois dans la nécessité de laisser à la piété d’un autre le soin d’exécuter sur la terre ce que la mort m’empêchera de faire moi-même. Et cet autre, ce sera toi. Je te