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sans protection dans le monde. Tu comprends, Erwin, qu’Angélina doit retrouver son foyer, son chez elle, si elle revenait un jour avec sa mère, découragée et pauvre. Mais si sa mère apprenait ma mort, elle ne viendrait pas. Que chercherait-elle ici ? Si elle venait frapper à la porte, et si les voisins lui disaient que le vieillard morose est mort, elle s’en retournerait peut-être, pensant n’avoir rien à espérer.

« Donc, pour qu’elles puissent se présenter ici, il faut qu’on ignore ma mort. Si tu demandes pourquoi je ne leur laisse pas tout ce que je possède, je te répondrai que, si la mère d’Angélina est heureuse, elle ne doit jamais savoir que le vieux fou trompé, non aimé, a songé à son enfant chérie jusqu’au dernier soupir avec un amour infini et un désir ardent de la revoir. Elle ne doit jamais savoir quel a été son chagrin et combien il a souffert. Mais si elle était malheureuse ! Si Angélina vient un jour, — tu la reconnaîtras à sa figure angélique, dont tu auras appris par cœur chaque trait sur le portrait de sa grand’mère, — tu la reconnaîtras quand elle prononcera mon nom. Alors, tu ouvriras cette lettre et tu agiras suivant ma volonté pour l’amour de Dieu et le repos de mon âme jusque-là sans paix. Reçois Angélina, reçois sa mère. Dis à ma fille que tout lui appartient ici, où le cœur de son père l’a attendue durant de longues années, et qu’elle trouvera dans cette maison un abri sûr pour sa vie bénie. Dis-lui que je l’aime, que toute mon existence lui a été consacrée, et que je pardonne à sa mère du fond de mon cœur.

« Que le ciel te protège, mon cher Erwin, et qu’il récompense tes actions.

« Dr  Gottlieb Irnerius. |5|sc}}

« Worms, le… »


Je levai lentement les yeux sur Angélina. Elle ne cachait plus sa mignonne figure. Calme et rêveuse, elle était toujours assise dans le fauteuil, ses petites mains jointes sur ses genoux. Je me levai. En me voyant m’approcher d’elle, elle dressa vivement la tête. Elle paraissait tout à fait rassurée, et sa voix s’était raffermie lorsqu’elle s’empara de ma main.

— Monsieur Erwin, dit-elle, vous m’avez vue très puérile, il y a quelques minutes.

— Mademoiselle Angélina…

— Non, écoutez-moi. Je ne dirai que quelques mots. Je suis la fille de votre oncle.