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sentimens ni les vœux, dont on dédaigne même l’alliance, que tout se passe entre partis extrêmes, et que ceux qui ont aujourd’hui la prétention d’imposer leur candidat sont justement ceux qui ont conduit la France à cette situation extrême où toutes les garanties peuvent être compromises. Nous savons bien tout ce qu’on peut dire, tout ce qu’on dit pour se faire illusion ou pour faire illusion aux esprits naïfs : il ne s’agit que d’un vote de défense commune pour la république, contre les tentatives éventuelles de dictature ; tout le reste est réservé. Malheureusement, tout ce qui est réservé par les inventeurs d’euphémismes électoraux, ce qu’on entend bien maintenir après le vote comme avant, c’est la politique qui a fait tout le mal, et, en réalité, à l’équivoque Boulanger on n’a trouvé à opposer qu’une autre équivoque sous le nom de république.

Eh ! certainement, cette éternelle candidature de M. le général Boulanger est un défi pour tous les sentimens libéraux, une menace pour les institutions parlementaires qui restent encore la dernière sauvegarde du pays. M. Boulanger a beau avoir, lui aussi, l’art des euphémismes pour déguiser sa pensée et se défendre de toute velléité dictatoriale ; il a beau parler de la paix, de la république, du parti national, et mettre dans son langage une habileté qui ressemble à de la rouerie, il est ce qu’il est. Il ne représente après tout que l’esprit d’indiscipline militaire, l’appel à tous les instincts de révolte et d’anarchie, la désorganisation, — et l’inconnu. Il faudrait une rare perspicacité pour démêler une politique dans ses programmes et une rare ingénuité pour y voir autre chose qu’une ambition effrénée, sans scrupules, qui a l’art de se servir de tout et a été aussi servie par les circonstances, qui a su se faire des complices de tous les mécontentemens d’un pays désabusé. Non, sans doute, cette candidature n’offre aucune garantie ni pour la paix ni pour les libertés de la France ; elle n’en offre pas plus aux conservateurs qu’aux républicains. Non, cette fortune qui a grandi dans le déclin de la république n’a rien de rassurant, rien qui puisse inspirer la confiance. C’est tout ce qu’on peut dire ; mais, après tout, les choses ont leur moralité, et il n’y a point à se payer de subterfuges ou de déclamations. Cette popularité, cette fortune, qui deviennent une menace aujourd’hui, contre lesquelles on s’élève tardivement, qui les a créées ou favorisées ? S’il s’est formé par degrés une situation, où une foule d’instincts égarés si l’on veut, sincères en définitive, se tournent vers un homme qui n’a d’autre mérite que de représenter l’inconnu, c’est-à-dire autre chose que ce qui existe, à qui la faute ?

C’est, à n’en pas douter, l’œuvre d’une politique aveuglément, obstinément poursuivie depuis dix ans, et ici il n’y a point à équivoquer, la plupart des républicains, les opportunistes autant que les radicaux,