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Puis, sur la droite, s’estompe un monument chargé de dômes : c’est la mosquée dite du Barbier, et enfin apparaît la ville, une masse indistincte, indécise, derrière le rideau de pluie ; et le minaret semble moins grand que tout à l’heure, comme s’il venait de s’enfoncer dans les murs après s’être élevé jusqu’au firmament pour nous guider vers la cité.

Oh! la triste cité perdue en ce désert, en cette solitude aride et désolée ! Par les rues étroites et tortueuses, les Arabes, à l’abri dans les échoppes des vendeurs, nous regardent passer; et, quand nous rencontrons une femme, ce spectre noir entre ces murs jaunis par l’averse semble la mort qui se promène.

L’hospitalité nous est offerte par le gouverneur tunisien de Kairouan, Si-Mohammed-el-Marabout, général du bey, très noble et très pieux musulman ayant accompli trois fois déjà le pèlerinage de La Mecque. Il nous conduit, avec une politesse empressée et grave, vers les chambres destinées aux étrangers, où nous trouvons de grands divans et d’admirables couvertures arabes dans lesquelles on se roule pour dormir. Pour nous faire honneur, un de ses fils nous apporte, de ses propres mains, tous les objets dont nous avons besoin.

Nous dînons, ce soir même, chez le contrôleur civil et consul français, où nous trouvons un accueil charmant et gai qui nous réchauffe et nous console de notre triste arrivée.


15 décembre.

Le jour ne paraît pas encore quand un de mes compagnons me réveille. Nous avons projeté de prendre un bain maure dès la première heure, avant de visiter la ville.

On circule déjà par les rues, car les Orientaux se lèvent avant le soleil, et nous apercevons entre les maisons un beau ciel propre et pâle plein de promesses de chaleur et de lumière.

On suit des ruelles, encore des ruelles, on passe le puits où le chameau, emprisonné dans la coupole, tourne sans fin pour monter l’eau, et on pénètre dans une maison sombre, aux murs épais, où l’on ne voit rien d’abord, et dont l’atmosphère humide et chaude suffoque un peu dès l’entrée.

Puis on aperçoit des Arabes qui sommeillent sur des nattes; et le propriétaire du lieu, après nous avoir fait dévêtir, nous introduit dans les étuves, sortes de cachots noirs et voûtés où le jour naissant tombe du sommet par une vitre étroite, et dont le sol est couvert d’une eau gluante dans laquelle on ne peut marcher sans risquer, à chaque pas, de glisser et de tomber.

Or, après toutes les opérations du massage, quand nous rêvenons