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de neige qu’elles ne s’y montrent pas tout de suite, mais après l’éblouissement et la surprise du premier regard. Alors on n’aperçoit plus qu’elles, si nombreuses, si diverses, si puissantes et presque invisibles pourtant ! Plus on regarde, plus elles s’accentuent. Des ondes d’or coulent sur ces contours, secrètement éteintes dans un bain lilas, léger comme une buée, que traversent par places des traînées bleuâtres. L’ombre immobile d’une branche est peut-être grise, peut-être verte, peut-être jaune? je ne sais pas. Sous l’abri de la corniche, le mur, plus bas, me semble violet : et je devine que l’air est mauve autour de ce dôme aveuglant qui me paraît à présent presque rose, oui, presque rose, quand on le contemple trop, quand la fatigue de son rayonnement mêle tous ces tons si fins et si clairs qu’ils affolent les yeux. Et l’ombre, l’ombre de cette koubba sur ce sol, de quelle nuance est-elle? Qui pourra le savoir, le montrer, le peindre ? Pendant combien d’années faudra-t-il tremper nos yeux et notre pensée dans ces colorations insaisissables, si nouvelles pour des organes instruits à voir l’atmosphère de l’Europe, ses effets et ses reflets, avant de comprendre celles-ci, de les distinguer et de les exprimer jusqu’à donner à ceux qui regarderont les toiles où elles seront fixées par un pinceau d’artiste la complète émotion de la vérité ?

Nous entrons à présent dans une région moins nue, où l’olivier pousse. A Moureddin, auprès d’un puits, une superbe fille rit et montre ses dents en nous voyant passer, et, un peu plus loin, nous devançons un élégant bourgeois de Sousse qui rentre à la ville, monté sur son âne et suivi de son nègre qui porte son fusil. Il vient sans doute de visiter son champ d’oliviers ou sa vigne ! Dans le chemin encaissé entre les arbres, c’est un tableautin charmant. L’homme est jeune, vêtu d’une veste verte et d’un gilet rose en partie cachés sous un burnous de soie drapant les reins et les épaules. Assis comme une femme sur son âne qui trottine, il lui tambourine le flanc de ces deux jambes moulées sous des bas d’une blancheur parfaite, tandis qu’il retient fixés à ses pieds, on ne sait comment, deux brodequins vernis qui n’adhèrent point à ses talons.

Et le petit nègre, habillé tout de rouge, court, son fusil sur l’épaule, avec une belle souplesse sauvage, derrière l’âne de son maître.

Voici Sousse.

Mais, je l’ai vue, cette ville ! Oui, oui, j’ai eu cette vision lumineuse autrefois, dans ma toute jeune vie, au collège, quand j’apprenais les croisades dans l’Histoire de France de Burette. Oh ! je la connais depuis si longtemps ! Elle est pleine de Sarrazins, derrière