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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/557

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Lamennais, et qui donne à tous ses écrits et aux phases diverses de sa philosophie un caractère si émouvant. On n’a rien à ajouter, comme peinture de la personne et du caractère, à ce qu’un grand écrivain a dit ici même[1] de Lamennais quelque temps après sa mort ; mais l’on peut, par une histoire précise de ses idées, par l’analyse suivie de ses travaux, essayer de rendre claire la révolution surprenante qui a tant scandalisé les âmes. C’est surtout ce problème psychologique que, dans les pages suivantes, nous avons pris à tâche d’élucider.


I.

On sait peu de chose de la vie de Lamennais pendant son enfance et sa jeunesse. Nous n’avons pas d’ailleurs pour but de faire ici l’histoire de sa vie : c’est l’homme intérieur que nous voulons étudier. À ce point de vue, nous recueillerons seulement dans cette première période, parmi les renseignemens incomplets qui nous sont donnés, soit par les parens de Lamennais, soit par ses propres lettres, deux faits qui nous paraissent jeter un grand jour sur l’histoire future de son âme et de sa pensée. Le premier, c’est que Lamennais a commencé, jeune encore, par l’incrédulité, et qu’il n’a fait sa première communion qu’à l’âge de vingt-deux ans. « Il était ne raisonneur, dit son neveu, M. Blaize[2] ; quand on voulut lui faire faire sa première communion, les argumens hostiles qu’il avait lus lui revinrent en mémoire ; il étonna grandement le prêtre chargé de le préparer à recevoir le sacrement. On discuta ; on se fâcha ; l’amour-propre était en jeu ; il ne voulut pas se rendre : la première communion fut ajournée. Il passa sa première jeunesse, qui ne fut pas sans orage, dans cet état d’incertitude ; mais le doute était trop antipathique à sa nature énergique… Courbant la raison sous le joug de la foi, il demanda à la religion la solution des problèmes qu’il n’avait pas trouvée dans la philosophie… Toutes ses affections se concentrèrent dans le sentiment religieux, et, foulant aux pieds le respect humain, il fit à vingt-deux ans (en 1804) sa première communion. » On regrette de n’avoir pas plus de détails sur une circonstance aussi remarquable. C’est là un fait si étrange, que, s’il n’était attesté par un membre de la famille, on serait tenté de le révoquer en doute. Qu’un enfant ait pu faire quelques objections qui aient retardé sa première communion, on le comprend. Mais que ces objections aient été assez fortes, la résistance assez tenace, pour que dans une famille chrétienne, en

  1. Voyez la Revue du 15 août 1857.
  2. Œuvres inédites de Lamennais, publiées par Blaize, 1844. Introduction, p. 21.