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exposé dans le Vicaire savoyard. 3° Enfin, le dernier système d’indifférence est celui qui croit que Dieu a bien voulu se révéler à nous, qu’il nous a même donné un livre qui contient sa doctrine, mais qu’il nous a laissé le soin de la découvrir par nous-mêmes, sans instituer aucune autorité pour interpréter ce livre et pour discerner le vrai du faux : c’est le protestantisme.

Contre le premier système, qui fait de la religion une invention des législateurs, Lamennais oppose les argumens suivans : la religion est à l’origine de tous les peuples ; nul n’en connaît la source. Qui peut se faire fort de l’avoir inventée ? Qui osera dire : en telle année, on a inventé Dieu ? La société est nécessaire, donc la religion est nécessaire ; car on n’a jamais vu de société sans religion. Les hommes n’ont donc pas pu inventer la religion plus que la société. La religion est encore nécessaire comme sanction des lois ; cependant, si elle était une loi comme les autres, comment pourrait-elle leur servir de sanction ? Les philosophes du XVIIIe siècle se figurent que les législateurs peuvent tout ; mais est-il donc si facile de changer les idées d’un peuple et de lui faire croire tout ce qu’on veut ? Les dogmes de la religion sont partout les mêmes, dit encore Lamennais, tandis que les institutions politiques changent de peuple à peuple : comment la religion viendrait-elle donc de la politique ? La religion est un sentiment ; les législateurs peuvent-ils créer des sentimens ? Ont-ils inventé l’amour filial ? Sans religion, pas de morale. Si la religion a été inventée, il faut en dire autant de la morale. Mais le cœur humain se révolte à cette idée. On dit que la religion est nécessaire pour le peuple ; mais on ne croit pas par nécessité. Si la religion est fausse, comment faire croire au peuple qu’elle est vraie, uniquement parce que cela est utile ? Si la religion est nécessaire au peuple, elle l’est à tous les hommes ; alors pourquoi les philosophes s’en exempteraient-ils ? Pour faire croire le peuple, il faudrait que les philosophes donnassent l’exemple ; mais ce serait de l’hypocrisie, et on reconnaîtrait toujours leurs vrais sentimens. Si, au contraire, tout en disant qu’il faut une religion au peuple, ils se séparent de lui par la pratique et continuent à poursuivre la religion de leurs sarcasmes, le peuple s’apercevra qu’on le prend en pitié, et ne tardera pas à rougir d’une religion qui l’humilie.

À la vérité, les philosophes que Lamennais vise dans la controverse précédente auraient un moyen d’échapper aux conséquences qu’il leur oppose et aux contradictions qu’il leur impute, c’est de nier le principe même, à savoir que la religion est nécessaire pour le peuple. Tous les athées du XVIIIe siècle en général attaquaient, en effet, la religion comme synonyme de superstition et de fanatisme. Mais on remarquera que Lamennais ne combattait