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aux prises Rousseau et l’athée, en prêtant à l’un et à l’autre les argumens des philosophes et de Rousseau lui-même : « Je ne connais pas Dieu, dit Rousseau ; mais le plus digne usage de ma raison est de s’anéantir devant lui. » — « Me dire de soumettre ma raison, répond l’athée, avec les paroles mêmes de Jean-Jacques, c’est outrager son auteur. » — « Voyez le spectacle de la nature : nul n’est excusable de n’y pas lire. » — « c’est là un sujet hors de l’expérience humaine. » (Hume.) — « Vous ne nierez pas l’éternelle correspondance de la cause et de l’effet. » — « Pourquoi non ? La liaison de l’effet avec la cause est entièrement arbitraire. » (Hume.) Ainsi, le même droit qu’invoque le déiste pour ne faire appel qu’à sa raison, l’athée l’a également ; et si l’un s’en sert pour affirmer Dieu, l’autre s’en servira pour le nier. Qui décidera entre eux ? La seule conséquence est donc le scepticisme. C’est ce qu’avoue Rousseau lorsqu’il ne reconnaît à l’homme, pour le distinguer des bêtes, que le triste privilège de s’égarer d’erreurs en erreurs à « l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principes. » Lamennais conclut toute cette discussion par ces mots de Bossuet : « Le déisme n’est qu’un athéisme déguisé. »

Le troisième système d’indifférence dogmatique est le protestantisme. On ne veut pas dire que les protestans soient individuellement indifférens en matière religieuse ; ils peuvent être croyans et pieux ; mais c’est leur doctrine qui, logiquement, est indifférente entre le vrai et le faux : c’est leur principe qui les entraîne hors de leurs croyances. Sans doute, le protestantisme réfute le déisme, comme le déisme réfute l’athéisme ; mais le protestantisme est entraîné vers le déisme, comme le déisme vers l’athéisme. Le dogme protestant repose sur une contradiction fondamentale : d’une part, il admet la révélation ; de l’autre, il subordonne la révélation au jugement de la raison. Luther, en faisant appel au jugement individuel pour interpréter l’écriture, et en proclamant par là même la souveraineté de la raison, a ouvert en Europe un cours de théologie expérimentale. Toutes les doctrines religieuses se sont fait jour. Le christianisme s’est à la vérité maintenu, mais c’est grâce aux relations qui rattachaient encore la foi nouvelle à la foi ancienne. C’est le catholicisme qui maintenait le protestantisme dans certaines limites consacrées. À l’origine, on reconnaissait encore plus ou moins l’autorité de l’église, au moins des conciles. Mais, peu à peu, les protestans ont été entraînés vers le socinianisme, c’est-à-dire vers le déisme et l’indifférence. Que pouvaient, en effet, répondre les protestans aux sociniens qui se servaient des mêmes armes qu’eux ? Sans doute, il y a une autorité : c’est la Bible. Mais qui l’interprétera ? Autant de têtes, autant