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liberté de l’individu en toutes choses, il fallait un autre principe, et le gallicanisme était une doctrine trop faible et trop impuissante pour le poser.

Tel est l’objet, telle est la pensée des deux écrits politiques publiés par l’abbé de Lamennais pendant la restauration : 1° la Religion dans ses rapports avec l’ordre civil et politique (1820) ; 2° les Progrès de la révolution et de la guerre contre l’église (1829). La pensée fondamentale de ces deux écrits est que l’erreur radicale de la révolution est la haine contre l’église, la destruction de toute religion. Or le gallicanisme est absolument hors d’état de lutter contre la révolution, car il est lui-même un des faits précurseurs de cette révolution ; il est une sorte de protestantisme. La constitution civile du clergé n’était que la conséquence du gallicanisme et du jansénisme.

Lamennais met en regard deux doctrines qui lui paraissent le contre-pied l’une de l’autre, quoique souvent elles tendent à se réunir : c’est d’une part le libéralisme, de l’autre le gallicanisme. Il s’attache à démontrer le danger et l’impuissance de ces deux systèmes. Le libéralisme, c’est l’individualisme. Nous savons ce qu’en pense Lamennais. Il le ramène à la liberté de penser, c’est-à-dire au doute. Il invoque, pour qu’on ne l’accuse pas d’exagération, les paroles mêmes du journal le plus philosophique qu’il y eût alors, le journal le Globe, pour prouver que ce que voulait cette école, c’est l’anarchie des idées. Voici, en effet, comment s’exprimait ce journal : « La vérité a cessé d’être universelle. Travaillée de tous les doutes, en présence de mille religions diverses, de mille systèmes contradictoires, cherchant sans tutelle et sans prêtre la solution du grand problème de Dieu, de la nature et de l’homme, les intelligences se sont proclamées souveraines, chacune de leur côté. Qu’il y ait heur ou malheur à cette émancipation audacieuse, qu’il y ait faiblesse ou force dans cette anarchie des esprits, il n’importe ; elle est aujourd’hui notre premier désir, notre premier bien, notre vie ; et voilà pourquoi la loi a constaté et consacré l’anarchie. Par elle, toute opinion a été déclarée libre. Ainsi sont tombés sous la juridiction de chacun toutes les révélations, tous les sacerdoces, tous les livres saints. » En citant ce passage, Lamennais reconnaît ce qu’il y a de sincérité, d’honneur et même de force dans cette manière hardie de poser la question. Mais il en tire les conséquences suivantes : c’est que le droit de penser entraîne le droit d’agir. Tout penser, c’est tout faire. Si chacun a le droit de penser ce qu’il veut, chacun est souverain de soi-même : « Prétendre lui imposer un devoir qu’il ne se soit pas d’abord imposé lui-même par sa pensée propre et sa volonté, c’est violer le plus sacré de ses droits, celui qui les comprend tous :