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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/605

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en raison de ce qui se passait en Syrie, — que le prédicateur et une grande partie de ses auditeurs avaient été mis en arrestation.

Il serait bien à regretter qu’un zèle inutile et intempestif vînt arrêter chez les musulmans du Caire les progrès d’un esprit de tolérance bien rare à trouver dans d’autres villes d’Afrique et d’Asie. Quel étrange intérieur que celui de cette mosquée d’El-Hazar, avec sa large cour quadrangulaire ouverte au soleil, aux oiseaux du ciel, aux mendians voyageurs qui viennent y dérouler leurs nattes, avec ses neuf cents colonnes de granit et de porphyre qui l’encadrent et ses douze cents lampes qui retombent des voûtes de l’édifice comme des stalactites lumineuses ! Chaque nationalité y occupe une place depuis longtemps désignée. Arrivé en présence de celle où se mettent les Algériens et les Tunisiens, je me figurai que je me trouvais au milieu d’un groupe de Français. Ils ne répondirent que par monosyllabes aux questions que je leur fis. J’ai vu là, absorbés déjà par leur lecture, des enfans d’une grande jeunesse, la figure pâlie, trop sérieux pour leur âge ; à côté d’eux étaient des hommes faits, étudians de la trentième année, superbes de gravité. Quelques-uns avaient le visage tourné vers la muraille nue, décrépite, mais leurs grands yeux noirs perdus dans le vague semblaient suivre comme dans un rêve une vision céleste. Il est de pauvres étudians, — et c’est le plus grand nombre, — qui n’ont d’autre abri que celui que leur donne la mosquée ; ils y vivent et y dorment sur la natte, dans l’espace réservé à leur nationalité. J’ai dit que beaucoup d’entre eux, trop pauvres pour se nourrir, recevaient leurs alimens des directeurs de la mosquée ; mais il y a des limites à ces secours, et, quand ils sont épuisés, les nécessiteux doivent prendre patience jusqu’à ce qu’il se fasse une vacance. En attendant qu’elle vienne, cette vacance, à quelles terribles privations ne sont-ils pas astreints? Allah seul le sait! À ce sujet, M. Yacoub Artim, sous-secrétaire d’état à l’instruction publique, m’a raconté l’anecdote suivante. L’année dernière, trois frères, — des Arméniens, je crois, — Très pauvres, se présentèrent aux portes de la mosquée d’El-Hazar pour y étudier le Coran. Il n’y avait pas une seule place gratuite à leur donner, et leurs ressources en argent et en provisions étaient épuisées. Que faire alors? En attendant qu’un vide se produisît, deux des frères s’astreignirent à un travail manuel, et sur le produit de leur journée, ils prélevèrent le coût d’un internat pour le troisième frère. N’est-ce pas un bel exemple de fraternité? À ce fait isolé ne se borne pas la charité musulmane. La mosquée d’El-Hazar abrite, nourrit et habille trois cents aveugles, qui, après avoir suivi les cours de théologie se dispersent en Asie et en Afrique, se faisant remarquer par une exaltation toute particulière.

Dans la bibliothèque khédiviale de la capitale, les savans ulémas